[AV/T] Milford Dana - END

Avant le début de l’aube, il me parut important de me lever. Mes congés se faisaient rares certes, mais j’avais cette envie étrange de quitter mon lit. Peut-être désirais-je un thé Darjeeling très tôt le matin ! Il faut dire que j'étais très friande de cette boisson… Amusée par cette addictive, mais délicieuse envie, j’enfilai donc mes chaussons cotonneux pour emprunter la porte menant à mon salon. Et comme toujours, je restai sans voix face à la splendeur de ma pièce principale. Même dans une pénombre nocturne, mon salon brillait de toute beauté ! Du parquet flottant au canapé ivoire, en passant par le mobilier cristallin… la moindre parcelle de cette demeure dégageait élégance, splendeur et propreté. Depuis l’acquisition de ce vaste appartement, j’avais constamment ordonnancé mon paysage pour qu’il soit le plus épuré possible.
Force est de constater que j’étais généralement très contente de me réveiller dans cette maison ! A travers les vitrages de mon luxueux appartement se reflétait mon épanouissement surpassant progressivement ma somnolence du réveil. En moins d’une minute, j’atteignis les fourneaux de ma cuisine, prête à préparer ma boisson préférée. Eduquée par la bourgeoise anglaise, il m’était essentiel de commencer la journée avec une tasse de Darjeeling. Un véritable Darjeeling et non l’une de ces dosettes fallacieuses vendues partout au Japon ! Et pour profiter du meilleur des thés noirs, j’importai carrément le mien du Népal ! Grâce à mes généreux revenus, cette réticence n’était guère un gouffre financier… Et puis, le plaisir n’a pas de prix !

« Je ne me lasserai jamais de ce parfum… » frémis-je, domptée par les arômes floraux de ma concoction.

Une dizaine de minutes m’avait suffi pour terminer la préparation du « Roi des Thés Noirs ». Infusée subtilement dans ma tasse en porcelaine, il y émanait cette inlassable odeur sucrée dont je ne cessais de raffoler. Ma tasse de thé à la main, je retournai ensuite au salon avec une grande précaution pour ne rien faire tomber. La droiture honorable, mes yeux ne purent quitter le panorama colorant ma large baie vitrée. Une aube hivernale ! Quelle merveilleuse vue que des rayons orangés, biaisées par des filtres nuageux ! Sur une gorgée de mon jus raffinée, je me permis de lâcher un râle de plaisir…

« Tout simplement divin… » précisais-je, les pupilles turquoise scotchées vers l’horizon.

Alors que le soleil poursuivit son défilé matinal, j’entamai davantage ma tasse, sans trop me presser. Quel que soit le moment de la journée, un thé se savoure toujours lentement… sans compter que j’avais tout mon temps aujourd’hui ! Pas d’obligations professionnelles à l’agence héroïque de Seigi ou de défilé de mode pour mon agence de mannequinat ! Rien ! Cet exceptionnel jour était entièrement consacré à mon bien-être personnel et je comptais bien l’utiliser pour réaliser quelques emplettes sympathiques ! Mais pour le moment, humant ce succulent mélange oranger, mon corps se détendit naturellement sur le canapé blanc. Jusqu’au bout, mes yeux contemplèrent les détails de cette aube majestueuse !
Quand ils estimèrent la magnificence de cet évènement solaire passée, mes mirettes s’attardèrent vers un meuble bien précis de mon salon. Mon étagère à trophées. Sur plusieurs étages était dressé mes nombreuses victoires dans la vie. Et à seulement 24 ans, j’étais plutôt fière d’avoir à astiquer autant de trophées lors du ménage de printemps. La plus belle de toutes ces récompenses restait sûrement l’obtention de ma licence officielle de superhéros à Yuei. Néanmoins, pas mal d’autres distinctions matérielles valaient la peine d’être présentée. Entre les nombreux prix de beauté et de mannequinat se cachaient par exemple des trophées héroïques récompensant ma popularité mensuelle. D’autres plus basiques, félicitaient mon implication dans la protection du peuple contre les vilains. Enfin quelques clichés emblématiques de ma carrière étaient disséminés çà et là sur l’étagère. Des photos uniques retraçant mon combat pour la justice…

Sur une dernière gorgée de thé, j’admirai une énième fois le luxe de ma demeure. Devais-je être satisfaite de ma vie actuellement ? J’imagine que oui ! Le peuple japonais m’appréciait. Mes rangées d’argents étaient des plus florissantes. Mon immense appartement s’étincelait d’une lueur immaculée. Et surtout, j'étais en train de me délecter de ma boisson favorite sans aucun dérangement externe. Existait-il réellement quelque chose pouvant surpasser l’extase que je vivais actuellement ? S'agirait-il de trouver le grand Amour ? Pour le moment, mon charme et mon argent me permettaient sans problème de satisfaire ma luxure passagère. Je n’étais guère donc pressée de trouver l’Homme idéal…

Aujourd’hui, mes ambitions étaient toutes tracées ! A court terme, finir ma divine tasse de Darjeeling en silence ! A plus long terme, c’est-à-dire dans l’après-midi… j’avais plus ou moins prévu une activité très dépensière ! En effet, gratifiée de rares congés, je rêvais d’agrémenter ma garde-robe d’une nouvelle collection estivale. Des débardeurs, des sandales, de la lingerie, … je gardais toujours de la place pour de nouveaux habits charmants. Et même si je recevais gratuitement un grand nombre de fringues à l’issu de mes shooting photo ou de mes défilés, j’avais fréquemment ce besoin compulsif d’achats vestimentaires. En soi, avoir constamment une garde-robe à mon image faisait partie de mes rêves ! Malheureusement, la mode ne cessant d’évoluer chaque jour, il manquait sans cesse un petit quelque chose à mon dressing pour qu’il soit ‘’parfait’’ ! Et tant que je ne mettrais pas mis la main sur ce ‘’quelque chose’’, j’écumerai sans cesse les boutiques huppées pour le récupérer… Me voilà plongée dans un cercle vicieux dont je me délectais d’être la victime !

Trente minutes s’écoulèrent pour que je ne déguste entièrement les dernières gouttes de mon thé. Pendant tout ce temps, mon appartement fut plongé dans une harmonieuse quiétude. Sur le point de réclamer une deuxième tasse, j’allumai finalement ma télévision pour suivre le fil des actualités. Une hausse sans précédente du taux de criminalité ! La crainte du peuple et des gouvernements ! La fin du monde annoncée ? Le statut de Yuei remis en cause ? … Il est clair que le monde s’approchait dangereusement d’une discorde légendaire... En étais-je apeurée ? D’un côté, l’effrayante pullulation de super vilains dans le monde m’inquiétait franchement. De l’autre, je pouvais m’estimer heureuse d’avoir constamment des missions variées à réaliser. Chaque jour ne ressemblait à aucun autre et s'agrémentait d'intrépides aventures. J’appréciais particulièrement cet aspect de ma vie ! Hormis lorsqu’il s’agissait de boire du thé, je n’étais guère une inconditionnelle de la monotonie…
Sauver constamment des chiens coincés dans des arbres ne ferait pas de moi la reine des héros. Alors que je n’avais guère désiré devenir héroïne jadis, j’étais aujourd’hui une femme ambitieuse visant les sommets. Et ce titre en particulier ! A cause de l’éducation stricte de mon père, j’avais développé cette mentalité de gagnante. Que ce soit dans l’univers des héros ou de la mode, me contenter de la seconde place était hors de question. Perdre était juste une hérésie. Même en étant satisfaite de ma vie, j’avais le droit d’être une demoiselle entreprenante, risquetout et désirant plus que mes actuelles possessions. En tout cas, être la femme la plus puissante et la plus riche de cette planète faisait clairement partie de mes objectifs. J’étais plus que certaine d’avoir les capacités physiques et psychiques pour y parvenir. Et d’ailleurs, mon petit doigt me soufflait que ce rêve pourrait se réaliser plus rapidement que prévu…

Et une fois que j’aurais raflé ce titre de ‘’Queen’’, qu’avais-je prévu ? Tout d’abord, retourner à Londres, victorieuse et acclamée par une foule en délire. Ensuite, y prendre quelques congés pour me resourcer puis revenir au Japon et continuer mon office le plus longtemps possible. Père m’avait souvent répété que le plus dur n’était pas d’atteindre les sommets, mais d’y perdurer. Il arrivera tristement un jour où la Queen que je serais devenue, commencera à décliner. Lorsque que ce regrettable dénouement se présentera à moi, j’avais songé à devenir professeur à Yuei. Pour être tout à fait honnête avec vous, le professorat m’avait toujours intéressée. Transmettre mon savoir, serait la consécration d’une carrière riche en exploits.
N’ayant cessée d’être travailleuse depuis le début de mon éducation à Londres, j’étais déjà certaine d’avoir des connaissances précieuses à dispenser aux plus méritants. Quels étaient les clefs pour réussir dans cette société ? Comment se faire remarquer sur le marché du superhéros ? Quelles erreurs fallait-il éviter au début d’une carrière ? Tant de questions sociétales auxquels je pouvais donner des réponses pertinentes.

Petite anecdote sympathique ! Les hautes instances de Seigi m’avaient recommandé à Yuei pour une place de professeur Marketing, il n’y a pas si longtemps… Pour l’instant, aucun contact direct n'avait encore été pris de ma part, auprès de la direction de mon ancien lycée. Bien que ce poste ne me déplaisait pas, je préférais encore faire preuve de patience. Le métier de héros avait encore de nombreuses facettes à me dévoiler…

Aux alentours des 9h30, mon téléphone poussa la chansonnette plusieurs fois. ‘’Il’’ m’avait prévenu de son appel quelques jours auparavant, mais je ne voulais pas croire qu’il s’agissait de lui. Réticente, j’attendis plusieurs minutes sans faire quoi que ce soit. Peut-être était-ce juste une malheureuse personne s’étant trompée de numéro. Je voulais croire à cet éventualité… mais cette insistance était typique de cette personne ! Peu de gens violaient mon répondeur de messages comme lui. Même mes fans ne m’étouffaient pas autant. Quand ce type m’appelait par téléphone, j’avais l’étrange image d’un homme cherchant à s’immiscer de force dans ma vie privée. Et je n’aimais absolument pas ça ! Par respect, je me résignai à décrocher en cachant difficilement mon agacement…

« Bonsoir Père ! Quelle joie de recevoir votre appel aujourd’hui ! L’Angleterre se porte-t-elle bien ? Que me vaut donc votre appel depuis Londres ? » Par mes hâtives politesses, je cherchai à écourter cette conversation. Lui parler avait toujours le don d’irriter…
« Ôte cet irrespectueux ton de tes lèvres, Dana ! Je n’ai pas élevé une fille mal élevée que je sache ! » reprit-il dans une froideur que je ne connaissais que trop bien !  « Tu te dois de porter fièrement le nom des Milford ! Tant que tu n’auras pas atteint la place de numéro 1, je ne cesserais de te le rappeler » surenchérit-il pour me faire la morale.
« Vos remarques me font chaud au cœur, Père » le remerciais-je dans une ironie évidente.
« Sale impertinente ! Ne crache pas sur l’histoire de notre famille ! Depuis la nuit des temps, nous Milford, sommes des Hommes de valeur au service au peuple ! Je ne t’ai pas envoyé au Japon pour que tu fasses la couverture de petits magazines minables. Comprends-le ! Ton alter ne doit pas être gâchée dans des défilés mondains ! » affirma-t-il en critiquant ouvertement mon métier de mannequin.
« Merci de vous inquiéter pour moi, chaque jour, Père ! » rétorquais-je les dents grinçantes « Néanmoins, tant que mon métier de mannequin ne me ralentit pas dans mon travail de justicière, je n’ai aucunement l’intention de l’arrêter ! Ce fut un plaisir de vous entendre… » abrégeais-je abruptement cette discussion inutile en raccrochant le combiné.

Père était aveuglé par les valeurs légitimes de notre famille. Pour lui, il était indispensable que chacun de ses enfants représente la Justice qu’avait assidûment représenté les ancêtre Milford. Puissante, sérieuse et inébranlable. Il avait même choisi volontairement une femme dotée d’un alter prometteur, pour s’assurer une descendance talentueuse. Une femme à qui il avait fait croire un amour inexistant pour son profit personnel. Une femme censée être ma mère et dont je n’avais gardé aucun souvenir maternel. Une femme qui s’en était allée juste après ma naissance, me léguant sa chevelure flamboyante et ce qui était apparemment son alter : Ruby. Bien sûr que cette rupture avait été causé par mon père. Outre son caractère autoritaire que je n’avais jamais apprécié, il était celui m’ayant séparé de ma mère… Et je le haïssais pour ça !
Ne pas grandir avec une mère à mes côtés fut des plus regrettables. Au milieu d’une enfance alourdie d’entrainements physiques, cette absence avait été la source de multiples larmes chagrinantes. A travers l’utilisation de Ruby, mon âme semblait perpétuellement réclamer une tendresse maternelle. Même aujourd’hui d’ailleurs ! Dans ma nouvelle vie tumultueuse, j’éprouvais parfois des moments de latence. Nostalgique, je me demandais la tournure qu’aurait pris à ma vie, si elle avait été mon phare. Peut-être n’aurais-je pas été conflit avec Père ! Peut-être n’aurais-je même pas été une héroïne ! Cette dernière possibilité avait le don de me faire rire…

Au moins, je pouvais m’estimer heureuse d’être la détentrice d’un séduisant pouvoir ! Tout le monde n’avait pas cette chance ! Et franchement, je plaignais sincèrement ceux n’en ayant même pas. De nos jours, l’utilité d’un alter n’était plus à démontrer. Plus votre alter était impressionnant, polyvalent ou destructeur, et plus les gens vous admiraient. Plus les portes du monde professionnel vous étaient ouvertes. Malheureusement, appréciant m’accaparer le centre de l’attention et des encouragements, je compris lors de mes études à Yuei que Ruby n’était pas si sensationnel que ça ! Beaucoup avaient souligné sa beauté rougeoyante et l’incroyable résistance que pouvait me procurer ce don héréditaire. Cependant, hormis ces évidentes qualités, les recruteurs étaient sceptiques vis-à-vis du potentiel de Ruby. Sur le long terme, certains craignirent même que son manque de versatilité ne puisse me permettre de devenir une héroïne digne de ce nom. Les idiots ! Être sous-estimée me rendait toujours plus forte et affamée de victoire. Les lacunes de Ruby étaient une source de recherches et d'entraînement pour moi. Jamais, je ne le détesterais parce que des ignares crurent marrants de s'en moquer.
De toute façon, ces chiens galeux n’avaient d’yeux que pour les élèves recommandés et les détenteurs d’alters élémentaires. Durant mes participations au festival sportif de l’établissement, ces élèves en particuliers n’avaient eu de cesse de me voler la vedette sans faire quoi que ce soit d’incroyable ! Pour cette simple raison, je n’aimais pas particulièrement ces personnes gâtées par la vie. Tout comme je n’appréciais pas spécialement les gens vampirisant l’attention que je devais mériter… Si seulement mon père avait su me léguer un alter plus puissant ! Quel être pathétique…

Maintenant que ma tasse était terminée, je pourrais sans doute vous parler mes trois participations au festival sportif de Yuei. Ce fameux évènement très médiatisé dans le monde. Celui-là même éclipsant de loin les Jeux Olympiques ! Durant tout mon cursus là-bas, mes trois participations à ce festival composaient mes meilleurs souvenirs à Yuei. La ferveur du stade était maladive. L’effervescence globale enivrait chaque parcelle de mon corps. L’ébouillantait d’une excitation puissante. Pour la première fois, j’avais la sensation d’être poussée et soutenue par le public. Dotée de cette force nouvelle et addictive, je m’étais sentie invincible ! Sans problème, j’avais réalisé le tour de force d’atteindre les quarts de finale du tournoi les trois dites années… avant de constamment m’incliner ici ! Le dernier carré n’avait eu de cesse de m’échapper ! La faute à des combats mal négociés ou des adversaires aux alters surpuissants. De nos jours, ‘’certains’’ trouvaient d’ailleurs marrant de se moquer de moi à cause de cette fichue « malédiction » … Je n’ai pas trop envie de parler de ça, finalement !

A la place, permettez-moi de vous raconter, l’acte héroïque ayant mis ma carrière sur de très bons rails… Au sortir de Yuei, mes deux principales activités professionnelles prirent rapidement des envergures disparates. D’un côté, ma carrière de mannequin allait de plain, ne cessant de prendre de l’ampleur au fil des shootings photos. De l’autre, ma carrière d’héroïne battait un peu de l’aile. Il faut dire qu’à mes débuts, je broutais assez souvent les feuilles mortes laissées par le haut du panier. Du boulot héroïque insipide, presque répétitif et qui n’attisait ni gloire ni ferveur en moi. Bien entendu, il fallait s’en contenter et ce, malgré ma lasciveté grandissante. A ce moment-là, j’envisageai même de devenir model à plein temps. Ma fierté m’en avait toutefois empêché… ainsi que les incessants appels critiques de Père !

Heureusement que les cieux eurent la bonté de réparer cette injustice ! Un beau jour, j’eus la chance d’être convoquée pour protéger l’inauguration d’une zone commerciale réputée et attendue par beaucoup. Allez savoir pourquoi fus-je la seule sur place ce jour-là ! Les autres furent peut-être en retard ! Ou alors étaient-ils rebutés par ce travail ennuyeux ! Derrière cette tâche monotone en apparence, pouvait pourtant se cacher d’exaltants rebondissements. Avec une foule imposante venue assister à l’ouverture de toutes ces boutiques, il me parut évident qu’une bande de vilains viendrait jouer les trouble-fêtes. Et mes prédictions fatalistes s’avérèrent exactes.
Des êtres aux pensées viles effectuèrent leur entrée en scène en faisant exploser plusieurs magasins. Fort de ce méfait et de la cohue créée, ils se présentèrent sous un unique nom et glacèrent le sang des connaisseurs de super vilains. Ce fameux nom n’était pas inconnu au bataillon ! En regardant le public apeuré, je compris en effet que je n’eus pas affaire aux petits dealers du coin. Ce qu’ils comptèrent faire après cette destruction fut des plus abject. Continuer à semer la terreur évidemment ! Mais plutôt que d’être tétanisée par leurs méfaits et leur supériorité numérique, mes lèvres se délectèrent d’un rictus odieusement vorace. Mon moment de gloire était venu !

« Que je vous plains d’être tombée sur moi… ma lame ne vous fera aucun cadeau ! » les provoquai-je en pointant hautainement ma lame vers eux. Le but ? Les appâter ! Et visiblement, ils semblèrent très réceptifs à cette attaque verbale.

L’avantage numérique fut naturellement de leur côté. En revanche, l’avantage psychologique fut clairement de mon côté. Je me doutais bien que les formes délicates de mon corps les avaient amenés jusqu’à moi ! Du fait de leurs yeux pervers, je pus aisément deviner qu’ils me dévoraient du regard sans estimer une seconde mon identité d’héros et de combattante... Ce fut là leur plus grande erreur ! Leurs suffisances pour la demoiselle que j’étais les menèrent à leur perte ! Le combat fut totalement déséquilibré ! Ils ne firent même pas un instant, le poids contre ma pointilleuse dextérité sur le champ de bataille. Ma lame vêtue d’une parure écarlate sembla à la fois souple et tranchante. Au rythme de mes pas vifs et élégants, elle virevolta à travers leurs corps tel un fouet punitif. Le sang ne cessait de jaillir autour de moi sans jamais me souiller. Plutôt qu’un ignoble lynchage, les nombreux spectateurs assistant à ma prestation jurèrent voir une valse solitaire où la fripouille était élégamment éliminée. Offensivement, j’eus le dessus sur ce ramassis de dépravé. Défensivement, j’eus également le dessus. Leurs attaques s’effondrèrent face à ma défense impénétrable, alors que ma lame teintée de sang ne cessa de les taillader…

Lorsque le dernier vaurien s’effondra devant ma personne, le public soulagé, hurla frénétiquement une ferveur qui me rappela étrangement celle du festival de Yuei. Les gens ici furent certes, beaucoup moins nombreux, mais l’excitation qu’ils créèrent en moi fut strictement la même ! Le début de la célébrité ? Avec mon métier de model et ce succès engrangé, ce ne devait être qu’une question de temps avant le grand décollage de ma carrière ! Des caméras avaient même filmé ma prestation… Avais-je tué mes victimes ? Je n’avais pas vérifié, mais il était ma foi possible que certains d’entre eux aient regrettablement rendu l’âme… Quoi qu’il en soit la justice avait triomphé ! De plus, j’inscrivis dans la rétine du public, la pureté de mon style de combat, mes formes délicieuses, ainsi qu’un nom symbolisant à la fois, la splendeur d’un joyau rouge et celle du sang dégoulinant sur ma lame : Scarlet Blade.

Très sincèrement, vous ne pouviez pas imaginer tous les crimes dont j’avais été témoin dans ma vie. Rien qu’hier, j’eus le malheur de rencontrer dans la rue, un crime : un homme qui était vêtu d’une chemise bleue boutonnée en vrac, d’un short blanc cassé et d’une paire de claquettes-chaussettes… Mon dieu, quelle abomination ! Et tous ces poils surplombant ces jambes… Mazette ! Sa mocheté m’avait littéralement crevé les yeux ! Heureusement que la loi prônait pour une liberté vestimentaire, car j’aurais très certainement abattu mon courroux sur lui. Sachez tout de même que je m’étais permise de l’interpeller pour lui ordonner d’enlever cet inélégant attirail. Chose qu’il ne voulut faire ! Cet ingrat ! Je lui avais pourtant présenté mon élogieux pedigree dans le milieu de la mode pour le convaincre de retirer ces insanités…
Influencer la mode était une tâche bien difficile, car elle impliquait de prêcher la bonne parole aux petits ignorants de ce monde ! Mais qui d’autre que moi pouvait endosser un tel rôle ? Donnez-moi des noms ! Même si j’effectuais la plupart de mes trajets en voiture, de temps en temps, j’essayais d’arrêter dans la rue ceux me choquant le plus, en leur priant de corriger ci et ça dans leur tenue ! Tout le monde n’aimait forcément pas mes remarques professionnelles sur la mode. Trop critiques selon certains ! Trop virulentes selon d’autres ! Pourtant, je ne cherchais qu’à sensibiliser ceux n’ayant aucun sens vestimentaire. Il était possible de bien s’habiller sans trop dépenser… Mais bien entendu, il était extrêmement préférable de dépenser pour des vêtements de qualité !

Repenser à toutes ces personnes dénuées de goût avait le don de me consterner. Cela dit, par le passé, il me fallut déjà gérer d’autres cas plus litigieux ! Au-delà des défauts de mode récurrents chez certains citoyens japonais, il m’était souvent arrivée d’être témoin de petits crimes orchestrés par la ligue des super fripouilles. Des vols de sac en tout genre, des prises d’otages, des casses publics, voire même des tentatives de meurtres. Dans la plupart des cas, je ne portais même pas mon costume d’héros ! Mais qu’à cela ne tienne, la justice ne dépendait guère d’un costume ! Si mon intervention permettait de rétablir l’intégrité du bien, alors je n’aurais pas une seconde, hésité à me battre… Et puis, j’aimais voir mon quotidien agrémenté de paillettes inattendues.
D’un point de vue professionnel, ma côte de popularité avait tout à y gagner. Plus qu’un bouclier capable protéger et de repousser le mal, je devenais une star suivie et adulée de tous. Régler le désordre installé par le mal correspondait à mes valeurs morales ainsi qu’à ma faim gargantuesque de renommée. Quand je n’avais pas ma tenue d’héros, je me montrais quelque peu prudente. Vis-à-vis de mes habits en particulier. Il ne s’agissait guère de fringues vendues dans la première supérette du coin. Chacun d’entre eux avait été brodé par des professionnels de la couture avec les meilleurs matériaux qui fussent. Certaines de mes tenues étaient mêmes des pièces uniques introuvables dans le commerce. Comprenez-donc ma vigilance ! Je n’avais guère envie qu’un feu ou qu’un malfrat ne vienne entacher la richesse qui ornait mon corps. Et ce, même si je possédais l’alter idéal pour protéger le tissu parcourant mes divines formes…

Naturellement, quand j’enfilais mon costume d’héros, je perdais cette réticence. Le moulant de ma tenue noire me permettait notamment des mouvements amples et soutenus sans risques. De plus, j’avais ma cape blanche ainsi que mon petit masque vénitien autour des yeux qui qualifiait mon identité d’héros.

En soi, mes journées s’enchaînaient, mais jamais ne se ressemblaient. Cependant, elles commençaient toujours au même moment : très tôt le matin, alors que le soleil peinait à se montrer. Le corps allongé sur un large lit, bordée par de cotonneux draps, je me complaisais systématiquement à dormir. A ma tête épanouie, il était aisément devinable que je ne voulais guère quitter ce petit nid douillet. Pourtant, il le fallait ! D’une part, mon réveil faisait insupportablement bien son travail. Bruyant, tapageur, son ignoble vacarme pourrait réveiller un régiment entier. De l’autre, je ne pouvais me permettre de traînasser dans ma couverture. Le monde n’attendait que moi ! Plusieurs minutes étaient généralement nécessaires pour mes chaussons de maisons soient enfilées et que mon popotin ne daigne se diriger vers la cuisine.
Dès que j’y arrivais, je m’attelais à la préparation de mon petit-déjeuner ! D’origine anglaise, j’avais importé dans mon remarquable appartement, les traditions de l’English Breakfast. Sur ma table, il n’y avait donc guère de tofu congelé, d’algues gluantes, ou de poissons à l’odeur insupportable. Pour être tout à fait honnête, je ne m’étais pas encore complètement accommodé à la nourriture japonaise. Bref ! Malgré mon corps de rêve, je m’autorisais pas mal d’excès pendant mes différents repas. Rien que pour le goûter du matin, je me délectais des toasts à la confiture, des œufs aux plats saupoudrés de poivres et de deux tranches de bacons fumés. Pour compléter cette assiette idyllique, j’y ajoutais deux alléchants scones, une tomate et parfois un muffin au goût variable. Au niveau de la boisson, je m’efforçais de boire un verre de lait pour fortifier les os ainsi qu’un jus d’orange plein de vitamine C. Enfin, cette régalade se terminait forcément par la saveur gouteuse d’un Darjeeling anglais dégusté lentement… Un pur bonheur !

La suite était plus classique ! Je prenais constamment un bain mousseux pour apaiser ma musculation. Presque aussi délectable qu’une bonne nuit de sommeil, j’avais également tendance à ne pas voir l’heure tourner quand je me lavais. Pour embellir cette beauté naturelle qui était mienne, j’effectuais toujours le nécessaire en crème et en lotion… Au sortir de ma baignade tranquille, j’étais au moins certaine que mon corps brillait d’une imparable propreté. C’était là le minimum requis pour pouvoir porter des costumes de haute gamme ! La grande question qui trottait alors mes lèvres était de savoir quel habit sortirait de mon dressing pour me décorer. Indécise, la réponse prenait généralement du temps à se dessiner. Devais-je viser l’extravagance ? Etait-il plus sain d’opter pour de la sobriété ?  Col serré ou col en V ? Robe empire ou robe dos nu ? Escarpins ou sandales ? Le dilemme était cornélien !
Un dernier coup de maquillage et me voilà tout habillée, partie pour travailler. Selon les jours, je me rendais soit à une succursale de Seigi, soit à l’agence de mode dans laquelle j’avais été engagée depuis ma remise de diplôme à Yuei. Soit même aux deux, selon les circonstances. Titulaire du permis de conduire, j’effectuais la plupart du temps mes déplacements dans un bolide rouge affichant ma richesse et mon mode de vie aisé. Dès que j’arrivais sur mon lieu du travail, qu’importe lequel, ma mentalité était toujours la même. Sourire de gagnante, frôlant l’arrogance, j’avais la droiture des conquérants. Je sublimais mon corps dès que les appareils photos pointaient sur moi. Je sublimais mes coups dès que j’avais enfilé mon costume d’héros.

Après une bonne journée de travail, à la nuit tombée, je regagnais enfin mon chez moi, exténuée. Chacune de mes journées était éprouvante, mais je les vivais à 200%. Le contenu de mon diner était variable, mais visait toujours à ''éponger'' toute cette fatigue accumulée. Niveau quantité, je faisais toujours en sorte de me préparer quelque chose de copieux. Après manger et doucher, j’avais pris pour réflexe d’allumer la télé pour m’informer. Et pour satisfaire mon égo. Quand les news parlaient de moi et de mes actions héroïques réussis, j’étais heureuse. Quand ce n’était guère le cas, je me donnais comme objectif de travailler davantage pour y arriver. Avant de dormir, il m’arrivait même de m’entraîner un peu pour consolider cet état d’esprit en quête éternelle de victoire…