[AV/T] egoist — iseul

La première question se suit d'un silence uniquement brisé d'un soupire, dans un premier temps. Il y a une certaine gravité qui s'installe sur ses traits, creuse quelques rides entre ses sourcils ; ça ne dure qu'un instant cependant, un battement de paupières et tout s'efface. Ne reste alors plus qu'un sourire à peine esquissé sur la courbe pulpeuse de ses lèvres sombres, avant qu'enfin elle ne se décide à répondre. « Tout de suite les grandes questions, huh? » De sa gorge s'échappe un rire promptement étouffé, alors que d'une main sont lissés les plis de sa jupe. « Si j'avais des regrets, je ne serais pas ici pour en parler— donc je suppose que j'en suis satisfaite. » Très peu de mots qui pourtant se faisaient lourd de sens, choisis avec minutie ; Iseul n'est pas du genre à laisser le hasard se faire une place dans ses actions, jamais. Pourtant, elle ne semble pas en avoir fini, se redresse légèrement pour ensuite reprendre.  « Je dirais même que jusqu'à présent, je n'aurais jamais imaginé les choses se passer autrement. » Et pourtant, il y a un mensonge qui se dissimule quelque part dans cette affirmation si assurée, un petit rien imperceptible pour l’œil non entraîné — un sourire pour ponctuer le tout, étouffer le doute.

Cette fois par contre, son faciès semble s'animer un peu plus, tout comme ses prunelles pâles, trahissant ses origines mixtes. Pourtant, ses mouvements restes minimalistes au possible, contrôlés quoi qu'étrangement naturels malgré tout. « J'ai l'impression d'être de retour en maternelle— mes rêves, sincèrement? » Dans sa voix semble s'être installé un petit quelque chose de dédaigneux, à peine exprimé par une moue crispée ; sa posture changée, les bras croisés contre son torse, voilà que la secrétaire semble bien plus sérieuse à présent. « Les rêves finissent toujours par être brisés, et je ne suis pas suffisamment naïve pour nourri des espoirs vains. Appelez moi pessimiste si vous le désirez, ce n'est pas moi qui finirais le cœur brisé à cause de foutaises. » Un soupire file, et on pourrait jurer voir de la contrariété s'installer sur ses traits. Vérité ou mirage, elle ne tarde pas à reprendre parole, le regard perdu en direction du mur, pensive. « Pouvoir mener la vie que je désire me semble un but bien plus facile à atteindre. Suivre mes propres règles, détourner celles des autres à mon profit, ce genre de choses. Les gens ne sont pas aussi infaillibles qu'ils le pensent. » Le silence, à nouveau, ponctue ses mots, et le froncement de sourcils est cette fois bien plus discernable. « Ca ne répond pas à la question? » un rire. « Possible. Mais je n'ai pas de meilleure réponse à donner. Je ne suis pas de ces héros qui pensent que la justice est clairement définie, ou encore qui se définissent par une notion arbitraire de bien et de mal. » Une hésitation lui fait suspendre ses paroles, secouant doucement la tête avant de reporter son regard sur son interlocuteur. « Oh, je n'ai pas la prétention d'être au dessus de la loi. Simplement suffisamment de culot pour la contourner. Et je compte bien continuer encore longtemps. » Et son sourire, cette fois, dépeint une confiance presque provocante.

La question semble brièvement l'amuser, un souffle bref lui échappant pour marquer ce fait. « Un avantage indéniable. Et vu l'état du monde actuel, l'opportunité parfaite pour ne pas se retrouver sur le banc de touche. » Concentrée sur ses dernières paroles, elle laisse ses ongles longs, couleur bordeaux, courir le long de l'accoudoir de son fauteuil ; une fois puis deux, elle croise et décroise ses jambes, son calme apparent en équilibre précaire. « Une différence de plus pour partager la population. Pas que l'homme ait eu besoin de ça jusque là. Certains diront que c'est un don d'une entité supérieure, d'autre le signe que l'humanité est vouée à dépérir pour laisser place à autre chose. » Et doucement un sourire s'affiche avec que son index tapote sa lèvre inférieure, le sérieux s'effaçant  peu à peu. « Je pense juste que c'est une opportunité pour se démarquer des autres – quitte à se mettre à dos le reste de la société. »

« Je n'ai pas pour habitude d'autant me livrer à qui que ce soit — surtout pas un parfait inconnu. » Il y a une politesse propre et factice dans le sourire qu'elle affiche alors, ses mains sagement ramenées sur ses genoux. La secrétaire reste ainsi quelques instants qui ne semblent finir, dévisageant son interlocuteur avant de finalement laisser échapper un soupire, feignant la résignation. « Je suppose qu'il doit y avoir au moins une anecdote que je pourrais partager. » Lèvres pincées quelques instants, elle penche la tête sur le côté, et présente sa meilleure imitation de la femme pensive. Oh, elle l'était, d'une certaine façon, mais pas avec la sincérité qu'elle s'employait à présenter — Iseul savait dire ce qu'autrui désirait entendre. « Il y a quelques années de ça, j'ai fait la rencontre d'un homme ; il avait vécu toute sa vie en profitant de la confiance d'autrui, sans réaliser que tout se payait un jour où l'autre. » Son expression se fige quelques instants, son regard dans le vague, comme à la recherche d'un détail lui échappant ; très vite pourtant, elle se reprend, et repousse du bout des doigts quelques mèches argentées aux reflets lilas derrière son épaule. « Et certains événements m'ont poussée à agir— forcer la main du karma pour qu'il reçoive enfin une punition bien méritée. En retrospective, ça n'a pas été bien compliqué à vrai dire : quelques signatures falsifiées ça et là, un acteur raté en manque d'argent se faisant passer pour lui, et l'affaire était réglée. » Dans sa voix transparaît quelque chose de suffisant, une fierté ne faisant pour autant pas oublier cette anecdote trouble ; si peu de détails qu'on pourrait se demander où s'arrête la vérité et où commence la fiction. Car du vrai, il y en a, cette homme à bel et bien existé, lui a même offert ces prunelles qui la démarquent du reste de la population.Et il ne suffit que de quelques papiers falsifiés pour priver un homme de sa pension et ses économies — une vengeance servie bien froide et ô combien satisfaisante.

« Ah. J'aurais du m'attendre à ce genre de questions — terriblement curieux, hm? » Et si le ton de sa réplique a quelque chose d'indéniablement joueur, le reste de son expression laisse présager une toute autre vérité : elle n'a jamais été de ceux qui aiment se livrer sans gêne, oh non, cultivant son intimité avec soin et secret, jaugeant avec précautions ce qu'elle accepte de partager. Alors ces questions-là doucement nourrissent un agacement qu'elle dissimule malgré tout, s'accroche à son image impeccable pour ne pas entacher sa réputation — et ce en dépit de ce qu'elle a déjà pu avouer. « Qu'on se le dise tout de suite, la justice n'est pas quelque chose qui m'intéresse. A moins de pouvoir en tirer quelque chose. » C'est avec un silence qu'elle laisse ses paroles prendre toute leur ampleur, sa joue venant prenant appui contre son poing fermé. Là où jusqu'à présent elle s'était contrainte à une posture plus neutre, elle laisse petit-à-petit transparaître ses véritables inclinations, ou tout du moins, un aperçu de ces dernières. « Dans la vie, il faut savoir tirer profit de toute situation, et celle-ci n'est pas différente. Je n'ai, après tout, aucune raison de vouloir venir en aide à un parfait inconnu. Sauf si j'y gagne quelque chose. La loi du plus fort prévaut plus que jamais à notre époque. » Et le plus fort est très souvent loin d'être celui qu'on imagine. « Quant au cas de figure où je pourrais être coupable, il faudrait déjà être capable de le prouver. » Et c'est la suffisance qui une fois de plus s'inscrit sur la courbe maquillée de ses lèvres.

La question de trop, probablement, à la façon dont ses sourcils se froncent, bien plus qu'un instant. Pourtant, elle la considère tout en lissant de la paume le tissu de sa robe ajustée. « Mon quotidien n'est ni intéressant, ni matière à être rendu public. Mais si cette question suit la tendance des précédentes, je ne peux y échapper, n'est-ce pas? » Une interrogation qui n'en est pas vraiment une, alors qu'elle se remémore silencieusement ce qui compose ses journées. « La matinée est toujours la même. Levé, café, salle de sport. Vient ensuite douche et changement de tenue, puis départ. » Les explications sont brèves, sans fioritures ; elle ne fait plus l'effort d'y mettre la forme, offre l'information brute et sans détour. « Une fois arrivée au bureau, j'apporte son café à Monsieur Asano, avant de vérifier tous ses rendez-vous et reconfirmer ceux toujours en attente — c'est un homme très occupé, vous savez. » Ses prunelles s'égarent sur le plafond gris alors qu'elle s'impatiente toujours un peu plus, avant de reposer les yeux sur son interlocuteur, ennuyée. « Le soir venu, je rentre chez moi et pas ma soirée seule. La vie d'une secrétaire célibataire n'a rien de très intéressante. » Et là, le sourire est figé, crispé. Il n'y a de vrai dans ces paroles-là que la forme mais surement pas le fond. Cela dit, c'est tout ce qu'elle semble encline à livrer, la vie bien ordonnée de l'assistante d'un homme important — un emploi parfaitement honorable, allons. Et personne n'a besoin de savoir l'étendue de son influence sur le business.