[AV/T-SJ] Kaneda, submergé par son devoir.

Une question posée de but en blanc. Je pourrais être tenté de me jeter des fleurs, mais la modestie est l'une des caractéristiques qui ne devrait jamais quitter un homme. Je me contenterai d'énoncer des faits.

Je suis un half "Hafu" comme disent mes confrères Japonais. Mon père était Français et ma mère Japonaise. Par conséquent, au premier abord, quiconque me croiserait pourrait me confondre avec un Gaijin. J'ai des yeux d'occidental, caractéristique principale permettant de me différencier, mais aussi les pupilles hétérochromes. La nature semble s'être éprise de moi, et m'a offert un œil droit bleu comme l'azur, ainsi qu'un œil gauche orange tel une ambre. Mon alter, lui, me confère une particularité physique discrète mais bien visible: un contour des yeux légèrement plus sombre qu'un individu normal. Je ne m'en plaindrai pas, quand on peut voir le cirque que peut être devenu notre monde avec ces alters transformant les humains en hybrides d'autres espèces. Mais je m'égare.

Ma taille me vient également du fait de mon père Gaijin. Je mesure 1M93, une taille excessivement grande pour un pays dont la moyenne est si basse. J'ai toujours su en jouer pour intimider autrui. Proportionnel à ma taille, mon poids, lui, est de 85kg. Je pratique du sport depuis de longues années, ayant décidé de ne pas me cantonner à mon alter pour effectuer toutes les taches physiques possibles. Par conséquent, je fais également du karaté depuis mes six ans, je remercie mon clan de m'avoir guidé vers cette voie au passage. Mon apparence et mes compétences doivent inspirer la crainte et renvoyer une sensation de puissance, pour que chaque personne s'opposant au Yakuza sache ce qui l'attend.

Je n'ai plus grand chose à vous apprendre sur mon apparence physique. Mes ongles peuvent s'allonger pour se muer en griffes, et mes dents en crocs lorsque je me transforme partiellement. Mais je ne vous ferai pas de démonstration, soyez-en sûr.

Concernant ma mentalité ? Vous aimez les questions discrètes décidément. Si je le pouvais, je vous aurais sûrement déjà envoyé voir ailleurs. Mais puisque la situation s'y prête... il n'est pas difficile de comprendre comment je fonctionne. Du moins, à travers mes explications. Ces fameux psychanalystes me feront toujours rire, on ne peut pas connaître une personne mieux qu'elle-même. Vous trouverez peut-être que je tourne trop autour du pot, mais je n'ai pas souvent l'occasion de pouvoir parler aussi longtemps...

Bien. Sachez tout d'abord qu'en premier lieu, je suis dévoué au clan Shimano. Pas pour une bête histoire d'amitié ou de redevance, mais parce que je le dois. Ma mère étant la petite sœur du père de Nobunaga, je suis inévitablement relié au clan. Ils sont ma famille. Et rien au monde n'est plus important que la famille et la loyauté que l'on lui voue. Je me fiche que mon cousin ait tué mon oncle, son propre père. Me venger aurait été un acte de traîtrise de ma part. Tant que le clan Shimano vivra, je ferais tout pour qu'il prospère. La vie d'autrui ne m'est guère importante face au devoir de loyauté que j'ai. Je n'ai aucun problème pour tuer quiconque si c'est nécessaire. Chaque personne que je déchire en deux l'a mérité d'une manière ou d'une autre. Je n'ai guère de remords et je ne pense pas en avoir un jour. La vie n'est qu'une longue route semée d’embûches au cours de laquelle nos actes, que nous pensons avoir des conséquences, perdent toute leur importance une fois notre âme montée aux cieux. Ces discours nihilistes sont souvent tenus par des défaitistes ou autre hikimomoris cloîtrés dans leur chambre. Je ne suis pas de ceux-là. Car après tout, peu importe la finalité, la vie serait bien ennuyeuse sans un peu de cynisme non ?

...

Mes excuses pour le silence pesant. Je pensais à autre chose. En dernier lieu de ce qu'il y a à savoir sur ma façon de penser, je n'accorde aucune importance aux relations sociales extérieures à mon clan. Je me fiche d'avoir des amis ou de connaître l'amour. Le sexe peut être acheté, l'affection et l'amitié me sont déjà données par ma famille et mon clan.

Ce sera tout concernant ma personnalité et mon physique. En toute honnêteté, je ne sais pas comment vous faites pour perdre autant de temps avec ça, mais faites comme vous le souhaitez.

Je n'aime pas parler de mon histoire sans entrer dans les détails. Parler de son passé en surface n'est que trop générique, et inutile en fin de compte. Mais de ce que je peux voir des prochaines questions, j'aurais tout le temps de parler de moi... soit, je consens à vous faire cette faveur.

Je suis né à Tokyo. Je ne sais plus vraiment ou. Tout ce que je sais, c'est que dès ma naissance, mon existence se destinait à être un drame. Mon père était un Français ayant déménagé au Japon pour y travailler. Un homme sans histoires. Il avait pu rencontrer ma mère par le fruit du hasard, au sein d'un bar. L'amour ne tarda point à fleurir en eux. Tout ce qui allait suivre aurait pu être évité si mon père avait simplement décidé de boire un autre soir, ou si ma mère avait eu moins d'admiration pour les Gaijin. Car le point clé de mon histoire réside dans l'arbre généalogique de ma mère. Celle-ci n'étant autre que la soeur de l'Oyabun du clan Shimano de l'époque. Celui-ci était moins puissant et sanguinaire qu'à l'époque, mais voir la sœur du chef de clan s'amouracher d'un étranger, qui plus est en lui faisant un enfant... cet événement fut perçu comme une véritable trahison. Ma mère, loin d'être idiote, l'avait prédit. Elle ne pouvait pas quitter le pays avec mon père et moi, le clan l'aurait forcément remarqué. Elle décida alors, avec mon père, de nous emmener loin de Tokyo et du clan Shimano. Dans les montagnes. Avec le recul que je peux prendre aujourd'hui, cette décision n'aurait forcément pas pu tenir bien longtemps.

Néanmoins, j'ai pu passer les six premières années de ma vie dans un climat calme et prospère. La nature était abondante autour de nous, nous vivions dans un petit village ou tout le monde se connaissait. Je parlais deux langues, et mes origines me valaient un certain succès à l'école ou l'intérêt de mes camarades se faisait ressentir. Ma petite existence insouciante m'était agréable, étant loin de me douter de l'appartenance de ma mère à un clan Yakuza. Je fus mis au courant de cette... particularité en même temps que la mort de mon père. C'était un jour comme un autre, comme tous les jours ou se déroulent des tragédies. J'avais pris l'habitude de rentrer seul à la maison depuis quelques semaines, la route jusqu'à mon foyer étant très courte et sûre. Ce n'est qu'en poussant la porte que ma journée, ma vie, changea du tout au tout.

Mon père était effondré au sol, face contre terre. Il baignait dans son sang. Plusieurs hommes étaient également présents dans la pièce, armés de katanas, semblant accompagner un homme plus âgé. C'était l'Oyabun. Ma mère était à genoux au sol, adossée contre un mur, paralysée. Ces souvenirs remontent à si longtemps que je n'ai aucun souvenir de ma réaction. Peut-être était-ce dû au choc. Lorsque le chef me remarqua, moi-même incapable de bouger, il ordonna simplement à ses hommes de se débarrasser de moi.

" Le fruit de cette union ne doit pas rester en vie, il ne ferait que ternir l'image de notre clan. "

Ma mère, sous le choc mais ne voulant pas perdre son enfant, s'empara d'un couteau de cuisine et le plaça sur sa langue.

" Si vous lui faites du mal, je me coupe la langue ! "

L'homme somma à ses hommes de s'arrêter. Peut-être tenait-il trop à sa sœur pour mettre sa vie en danger. Comme quoi, même les criminels avaient un cœur... je suis bien placé pour le savoir à présent. Ce fut à cet instant que mon alter se manifesta, ce pouvoir si particulier possédé par 20% de la population. Je pensais qu'avoir un pouvoir était un véritable don divin, mais dans le contexte de sa découverte, il m'apparut comme un châtiment divin. Mes yeux me brûlaient. Ma peau, mes os, mon corps entier menaçait de craquer et de s'effondrer. Ma seule envie sur l'instant fut de bondir sur cet homme qui m'avait arraché mon père, fou de rage. Je ne savais pas d'ou venait cette force, mais je savais ce que j'allais en faire... avant que cet homme ne parvienne à me maîtriser, sans même l'aide de ses hommes. Le dernier souvenir que j'eus en tête de ce jour fut un simple sourire de sa part, accompagné d'une phrase.

"Finalement, je vais le garder."

Ma mère ne parla plus jamais à compter de ce jour. Je fus intégré de force au clan, appris à me battre, à maîtriser mon alter, à devenir le plus loyal des Yakuza. Car très vite, je compris une chose. Ma rage envers cet homme que j'appris être mon oncle ne s'apaiserait jamais. Il m'avait enlevé mon père, ma vie, pour faire de moi un criminel. Et le meilleur moyen de le lui faire payer, de me venger un jour, était de me montrer le plus loyal possible envers lui afin de le massacrer le jour venu. Ma vie ne se résumait qu'à ça, travailler pour l'homme que je haïssais le plus.

Les années furent longues. Je me lia d'amitié avec plusieurs membres du clan, notamment Nobunaga le fils en personne de l'Oyabun mais aussi mon propre cousin. Je trucida beaucoup d'autres criminels, de policiers, de héros. Mon jeune âge ne fut jamais une barrière. Tout était bon pour le clan, désormais ma propre famille, si bien que je finis inévitablement par m'y attacher. Vous connaissez tous ces histoires de flic infiltré devenant un véritable membre de la mafia, ou de cet enfant trouvant un père de substitution en la personne du propre assassin de son véritable paternel. Je sentais cela arriver. Et je ne voulais en aucun cas m'y plier. C'est pourquoi, un soir, bien décidé à en finir, je décida de passer à l'action et de tuer mon oncle. Peu importe ce qu'il adviendrait de moi ou du clan. Je ne pouvais pas continuer de travailler pour cette raclure.

Alors que je marchais vers l'ascenseur menant au dernier étage, je sentais une peur terrible s'emparer de moi. Malgré toutes les tueries, et les racket divers... je ne m'étais jamais posé cette simple question. Es-tu prêt à mourir toi-même ? Ce que je m'apprêtais à faire relevait de l'exploit. Ou de la folie. Seul le temps le dirait. Toute ma vie jusqu'ici ne faisait que confirmer l'importance capitale de ce que je m'apprêtais à accomplir. Si je réussissais... je serais enfin libéré de plusieurs années de fardeau, et obtiendrais enfin ma vengeance. Si par contre j'échouais... ce seraient quatorze années de travail parties en fumée. Et l'aveu de mon infériorité sur lui. C'est ce qui expliquait le caractère si confidentiel de la mission que je m'étais moi-même donnée. Je suis officiellement décédé aux yeux du monde depuis mes six ans. Lors d'une crise de folie de mon père, peu avant qu'il ne se suicide. J'ai même pu voir les photos de mon propre enterrement. Ainsi, s'il m'arrivait quelque chose, et dieu savait que les probabilités étaient grandes, personne n'en saurait jamais rien. Excepté le clan.

Je venais d'appuyer sur le bouton de l'ascenseur. Et au bout d'une trentaine de mètres, je faisais face au long couloir du dernier étage. Il était trop tard pour reculer. Des années étaient passées. Des gens étaient morts pour me permettre ce jour. Et surtout... pour le monde extérieur, j'étais déjà mort. Et les morts n'ont pas le pouvoir de décider de quoi que ce soit. Je pénétrais alors dans l'espace réduit, qui me servirait de cage pendant cette course à la mort. Un couloir très étroit, bordé par de grandes vitres donnant sur toute la ville. Je commençais à comprendre la douce folie des anciens samouraïs, se jetant corps et âme dans la bataille. Je pensais à ma famille. Je pensais à ces inconnus disparus en ayant tenté de chercher leur destinée. Ils étaient partis pour l'aventure. Pour l'argent ou pour la gloire. Était-ce pour cela que j'étais resté un Yakuza ? Non. Je ne cherchais que vengeance. Ce qui m'attendait était plus périlleux que toutes les choses que j'avais pu faire conjuguées. Car j'allais tuer le chef d'un clan. J'allais révéler à ma famille mon statut de traître. Et personne au dehors ne pouvait m'aider, personne ne pouvait aider un mort. Et si un dieu avait existé... m'aurait-il laissé fouler du pied le cadavre de mon ennemi ?

J'avais atteint la porte. Tout s'apprêtait à s'achever, et je ne sentais désormais plus aucun signe de nervosité. J'ouvrais la porte, plissant les yeux face à la lumière du soleil couchant traversant les immenses vitres du building. Tout était iridescent, éblouissant. Ça y est. La fin commençait. Le vacarme que faisait mon cœur avait beau être sourd, il était assourdissant. En quelques secondes je traversait l'entrée jusqu'au bureau, qui me paraissait pourtant si loin en temps normal. J'avais l'impression d'être un touriste perdu dans une rue de Roppongi, qui chercherait un bar. En traversant le bureau et ses murs ornés de décorations asiatiques, l'orange des cieux glissait vers le pourpre avant de se teindre en un noir profond et enveloppant. Malgré l'obscurité, j'aperçus une silhouette debout. C'était maintenant que tout allait se jouer. C'était à cet instant que j'allais enfin pouvoir découvrir s'il était sage de laisser ma vie dépendre de de la vengeance que je vouais à mon oncle. Tout ce qui allait se passer maintenant se baisait sur des années de souffrance, de retenue, de haine. Je me demanda une dernière fois ou était mon père. Sûrement aux cieux, me scrutant de son regard avisé, laissant à son fils le choix de décider du destin qu'il se forgerait. Cette pensée renforça ma détermination. J'avançais vers cet homme, prêt à lui bondir au cou pour le décapiter...

Dans cette semi euphorie, je ne remarqua pas tout de suite l'homme qui était en face de moi. Ignorant son visage, je commença à me métamorphoser. C'est tout crocs sortis que je comptais bondir sur l'individu... avant qu'une vive lumière ne vint m'éblouir. Il venait d'allumer la lumière, balayant la pénombre de la pièce, et brisant le silence sépulcral de l'endroit de sa voix.

" Du calme, Kane'. C'est moi. "

Tout d'abord, je fus interloqué. Ce n'était pas mon oncle. C'était Nobunaga, mon cousin. Debout près du mur, il me regardait, alors que j'étais à demi transformé. A ses pieds... a ses pieds, gisait quelque chose que je n'aurais jamais cru voir. Quelque chose qui fut un choc plus violent encore que le jour ou j'aperçus le cadavre de mon père. C'était mon oncle.

" Cet idiot pensait mieux gérer le clan que moi, je vais prendre sa place. Le clan Shimano vaut mieux que ça. J'apprécie ta loyauté, c'est ce que j'ai toujours aimé chez toi. Sans même chercher à comprendre qui j'étais, tu as bondi pour venger mon père. Après tout, tu ne pouvais pas savoir. "

Je restais muet. Incrédule. Figé. Il était mort ? Mort. Ma vengeance devenait vaine. Toutes ces années passées à attendre, à intérioriser... tout était réduit à néant. Ma vie n'avait plus aucun sens, plus aucune saveur, comment pouvait-il mourir ainsi ? Tué par son propre fils. Quelle ironie. Quelle déception. Quelle... cruauté. Me retirer des mains la seule chose m'ayant animé toutes ces années, le jour même de ma décision. Nobunaga vint me mettre une tape sur l'épaule.

" Je te nomme Shateigashira, tu seras mon second lieutenant pour te récompenser de toute cette loyauté dont tu as fait preuve, et de la force avec laquelle tu anéantis tous ceux se dressant sur notre route. Crois-moi, le clan Shimano a de grands jours devant lui. "

Notre discussion se termina sur ces paroles. Paradoxalement, ce jour ne fut pas le plus marquant de ma vie, celui de la mort de mon père non plus. Désormais privé de tout but, et membre important du clan, je devais faire un choix. Mourir, fuir, ou assumer mes responsabilités. Le jour ou je pris cette décision fut le plus important de ma vie.

Je dois me replonger dans ce jour pour m'en souvenir parfaitement. Je dois le revivre, comme s'il était aujourd'hui.

Maudit... maudit soit mon oncle, pour m'avoir condamné à ce funeste destin. Maudite sa descendance et ses aïeux. Maudits soient mes semblables, qui se complaisent dans cette funeste mascarade. Et surtout, maudis sois-tu Nobunaga, toi la montagne lugubre qui a noirci mon existence. Combien de vies ais-je sacrifiées pour parvenir à mon but. Combien de familles brisées par cette quête dénuée de sens. Depuis l'aube de mes jours jusqu'au crépuscule d'aujourd'hui, toute ma vie s'est déroulée dans l'ombre de son sommet maléfique... et tu l'as tué. Les gens ont raconté tant de choses à ton sujet que ta simple évocation provoque chez moi la colère la plus grave. La terreur la plus sourde. J'ai depuis longtemps arrêté de compter les tentatives de suicide sans succès... ni retour. Ma vengeance était la avant que le soleil ne s'élève des eaux, dépassant alors déjà de façon insolente de la ligne d'horizon des galaxies les plus lointaines. Et tu as balayé tout cela d'un revers de mains. Aucun de nos frères ne peuvent te voir comme moi je te vois. Et aujourd'hui me voici à tes pieds, cher cousin. Aujourd'hui... c'est moi qu'on sacrifie.

La cérémonie va commencer. Elle est bien différente de la manière dont elle m'apparaissait avant. En y étant extérieur, elle a l'air banale et sans saveur. Voire effrayante et vide. Mais à la vivre, la réalité est si... différente... si... autre. Au premier tiers de son déroulement, j'ai d'abord trouvé ces vestiges d'un autre temps. Ces objets disposés autour de moi en cercle sont les derniers vestiges de ce que j'étais. On me fait boire quelque chose. Je ne reconnais même plus les objets du passés autour de moi. Ils semblent d'un autre espace temps. Même les couleurs me sont inconnues. Aucune odeur ne m'est familière. Malgré cet inconnu, ma peur a disparu. Pourtant, autour de moi, tout me crie de fuir cet endroit. Hormis le son malsain des carcasses des défunts que j'ai tués, caressées par les vagues acides de la méditerranée... il règne ici un calme froid et éternel. Il me faut poursuivre. Je dois gravir les échelons du clan. Je dois devenir l'enfant du clan. Lui donner ma vie.

Je crois que je suis en transe. Je ne vois plus rien. J'ignore combien de temps a duré la cérémonie. Alors que j'approchais de la conclusion, le sol s'est dérobé sous mon poids. J'ai vu ma vie défiler devant mes yeux. J'ai cru tomber mille ans, m'enfonçant dans un précipice plus profond que le Caldeira de Yellowstone. J'ignore comment ma conscience a survécu. Mes membres sont engourdis et je ne sens plus mon souffle trouver le chemin jusqu'à mes poumons. Je me hisse sur mes jambes ankylosées, et je regarde tout autour de moi. Je touche mes membres, qui semblent tous répondre à l'appel. Mes yeux tentent de se faire à l'obscurité alentours. Les premières sensations sont d'abord sonores. Des gouttes d'eau semblent chuter des stalactites juste au dessus de ma tête. Leur distance de chute semble grande tant le son de leur rencontre avec le sol est sonore. Une odeur humide et terreuse m'indique que je suis dans une sorte de grotte, cachée dans la montagne. Il me faut agir... je dois retrouver le chemin vers le clan. Un courant d'air que je suis me mène vers une cavité. Je la distingue à peine dans la pénombre. Je prie au nom d'un dieu abstrait, même si mon coeur sait que ce ne sera ici d'aucun secours. Et je m'engouffre dans le sombre boyau qui me mène vers mon destin.

Depuis tout ce temps j'avais tort. J'ai longtemps cru être un martyr, quand j'étais en fait un élu. En découvrant la grande salle en marbre, j'ai compris que cette montagne renfermait tous les secrets. La facture de la salle rappelle la salle de cérémonie. Je ne sais pas si ce que je vois est vrai ou non.  La pénombre a laissé place à une lueur diffuse. Cette lueur étrange me rappelle le coucher du soleil sur l'océan. Pourtant je ne vois pas de source de lumière, c'est tout le lieu qui irradie. Au fond de la pièce se trouve un passage présentant une paroi visqueuse, qui luit paisiblement. Je n'ai jamais vu de telle chose. Je devrais être saisi d'angoisse et pourtant je me sens si... paisible. Alors que je me rapproche de ce qui sera ma sortie ou ma fin, mes pieds rentrent en contact avec une matière inattendue. Je me baisse pour inspecter ce qui jonche le sol. Ce sont des chaines. Interloqué, je réalise que je reconnais ces liens. Je sais qu'ils appartiennent aux précédents Yakuza du clan, sans savoir comment. Quel est ton plan Nobunaga ? Qu'attends-tu de moi ? Machinalement je me débarrasse de mes chaînes facilement, et me retrouve libre devant la porte molle. Quelque chose me dit que mon chemin arrive à son terme. Une lueur dans mon âme me chuchote que je vais enfin savoir. Que tout va s'éclaircir. J'approche ma main de la matière étrange, et un frisson me parcours. Enfin, tout commence... dans un flash, je suis aspiré. Et me voici qui flotte dans une étendue blanche et infinie. Je suis comme dans une eau tiède et invisible. J'ai l'impression de me mouvoir dans une direction précise, comme si mon corps était aspiré vers sa destination. Pour la première fois je me sens apaisé. Pourtant je me doute que ce voyage... est sans retour. Au bout d'un temps qui me semble infini, mon corps se pose sur une plateforme de nacre. Il n'y a rien d'autre qu'un piédestal qui trône en majesté. En me levant, je n'ai d'yeux que pour ce qui s'y trouvé posé: cette forme indescriptible, irrégulière et saccadée. Je la reconnais. C'est la haine. Elle luit et vibre de milles façons, et ce qu'elle dégage provoque en moi une paisible cascade. Je sais qu'en la détruisant, une nouvelle aventure commencera pour moi. Ainsi je quitte ce projet fou et ce fardeau porté depuis trop d'années, laissant derrière moi les ruines du purgatoire et le chant plaintif des damnés que sont ceux que j'ai tués. Adieu, mon oncle. Adieu, père. Mes doigts s'approchent de la haine. Ça y est. Je la tiens dans ma main. Et les mots ne suffisent plus pour exprimer ce que je ressens. Me voici, mon clan. En toi, le coeur paisible et les yeux clos... enfin, je m'abandonne.

J'ouvre à nouveau les yeux. Tout ceci n'était qu'illusion. Mais j'en ressors changé. Ma haine n'est plus. Je suis toujours aussi violent, impertinent, mais je sais désormais contre qui m'en servir. Rien n'est plus important que mon clan, ou je suis accepté désormais. Ma vie prend un nouveau tournant.

On en revient à des questions si bateau après ce que je viens de raconter ? J'ai hâte d'en finir. Je vais faire court: je n'ai pas de rêve. Je veux seulement faire prospérer mon clan et tuer nos adversaires. Les héros ne sont que des guignols en costume qui veulent la gloire et la reconnaissance. Je suis certain que bien peu de personnes combattraient le crime si ce n'était pas aussi mis en avant. Je suis un criminel parce que je n'ai pas eu le choix, et que désormais cette vie me convient. C'est tout ce qu'il y a besoin de savoir concernant mes objectifs.

Pour moi, une bonne partie du monde court à sa perte. Les guerres se multiplient, les gens sont de plus en plus différents et de plus en plus inhumains. C'est pourquoi j'aime particulièrement mon pays, le Japon. Plus un peuple est constitué d'individus ayant les mêmes croyances et les mêmes origines, plus il aura de chances de prospérer. C'est la différence et la divergence d'opinion qui crée les conflits et fait courir la société à sa perte. Le yakuza a beau être une seule entité, il est divisé en de nombreux clans et familles. C'est ce qui donne ces conflits et guerres intestines, et c'est pourquoi j'espère que le clan Shimano assiéra sa domination sur le Yakuza un jour. Mon but est de l'y aider. Pour vivre en paix, nous devons nous ressembler. J'ai beau être issu de deux origines différentes, je l'ai bien compris.

Mon alter me convient. Il en dit long sur ma personnalité. Une apparence démoniaque et féroce, semblable à celle d'un démon. A mes yeux, chaque alter en dit long sur la personne qui le possède. Je ne pense pas que cela soit le fruit du hasard. Et je pense aussi que les alters sont la preuve que nous ne sommes pas égaux, et que certaines personnes sont naturellement supérieures à d'autreS. Certains, comme moi, peuvent voler et avoir une force incroyable. D'autres peuvent changer le sel en sucre. D'autres encore n'ont même pas d'alter. Je pense que leur apparition fait tout simplement partie de l'évolution, et qu'un alter doit grandement guider quelqu'un au cours de sa vie. Mais je n'ai pas la prétention d'imposer ça à qui que ce soit.

Concernant les lois, elles devraient gérer les possesseurs d'alter au cas par cas. Dès qu'un alter se déclare, un suivi devrait être mis en place sur la personne pour l'aider ou le contenir dans un certain cas. Cela éviterai de se retrouver avec des imbéciles faisant n'importe quoi, ou avec des criminels. Sans parler du fait que cela créerait beaucoup d'emplois. Effectivement, si cette loi existait, les yakuza disparaîtraient probablement ou seraient grandement réduits. Mais c'est une solution qui me paraît, objectivement, parfaitement viable sur le long terme.

Un crime est tout simplement un acte mettant en danger volontairement la vie ou l'intégrité d'une personne. Innocente, j'insiste la dessus. Tuer un civil est un crime, tuer un tueur en série n'en est pas un. Je suis un criminel aux yeux de la société, mais je ne me considère pas du tout comme tel. Je n'ai tué que des personnes qui le méritaient jusqu'ici. Je ne commettrai jamais de crime correspondant à ma définition, d'une part parce que cela entrerait en contradiction avec ce que je suis, d'une autre parce que cela irait à l'encontre du code d'honneur des Yakuza.

Pour finir, j'interviendrai toujours si je voyais quelqu'un s'en prendre à un innocent. La sécurité est importante en ce pays, d'autant plus dans les quartiers sous l'égide de mon clan. Je ne suis pas un lâche. Seuls les lâches fuient. Ou les faibles.

Je pense avoir suffisamment expliqué pourquoi et comment je suis devenu Yakuza. J'y étais d'abord contraint. Mais c'est au fil de mon parcours, et après avoir été nommé second lieutenant que j'ai pleinement accepté mon rôle. Je ne sers pas mon clan forcément parce que je suis en accord avec ses idéaux, mais parce qu'il est ma famille en priorité. Rien n'est plus important que la famille. On ne peut compter sur personne d'autre. La famille est une lueur dans l'obscurité, une oasis dans un désert aride, les seules personnes qui vous aimeront jamais pour autre chose que votre argent, votre apparence, ou quoi que ce soit d'autre. La famille vous aime sans conditions, et c'est pourquoi je la considère plus que tout. Je suis moi-même un symbole pour les autres membres de mon clan, le Shateigashira ayant des responsabilités. Je dois m'y tenir, pour moi, pour mes semblables, pour mes idéaux. Ma mère a beau être devenue apathique et vide, je ne l'abandonnerai jamais. Parce qu'elle est ma mère. Parce qu'elle aurait préféré se sacrifier que de me perdre. Qui que vous soyez, sachez que les liens sont toujours plus importants. Malheureusement... si nécessaire, je briserai les liens de mes ennemis sans hésiter.