[AV/T - HA] Korosu

Notre héros est le fruit d’un banal cliché : un orphelin qui ne se souvient pas de son passé. Pourtant, ce n’était pas faute d’essayer. Après avoir trouvé la liberté physique et psychique, il avait quémandé à maintes reprises des informations sur son origine auprès de l’agence Tsukeru mais sa réponse demeura identique à la version officielle : toutes les données furent brûlées dans l’incendie du laboratoire où lui et d’autres avaient été sauvés. Ainsi, notre protagoniste n’avait aucun souvenir d’avant ses dix-sept ans, d’avant sa libération et son sevrage des drogues qu’il ingérait quotidiennement. Alors il ignorait tout de sa famille et de ses parents. Lequel des deux lui légua ce physique peu ordinaire ? Cette peau noire comme la mort, des traits rouges semblables à des tatouages, de la même coloration que ces cheveux ondulants dans les airs comme s’ils étaient sous l’eau, ce regard argenté qui laisse des sillons sombres creusés les joues, … Car cela devait provenir de l’un d’eux, indubitablement. Car de l’autre il avait hérité d’un don différent de l’apparence physique. D’un alter qui devint pour lui une malédiction.

Au début, notre protagoniste voulait en apprendre plus sur son passé pour mieux se connaître lui. Mais lorsqu’il apprit la vie et ses conséquences, la mort et la mortalité, et surtout la nature de son alter, il cherchait à découvrir sa famille dans un autre but. Il voulait savoir si son parent maudit était encore en vie. Et si non, comment il était parvenu à briser la malédiction. Comment il était parvenu à mourir. Car notre héros en était incapable. Son alter l’en empêchait, inexorablement. Selon sa compagne, comme il avait passé dix-sept années au statut larvaire à cause des différentes drogues, c’était son alter qui développa une forme de conscience. Son instinct de survie qui fit au mieux pour le protéger. Et les séquelles furent qu’il continuait sa mission. Qu’il le sauvait de tout danger et qu’il écartait ce même danger. Même lorsqu’il ne l’était pas forcément. Dangereux.

Et pourtant il avait essayé. Korosu avait beau se tirer dessus avec un pistolet, la balle était renvoyée ailleurs. Il pouvait sauter du haut d’un toit, il se retrouvait automatiquement au sol, debout et indemne, et la seringue empoisonnée allait piquer le mur voisin à l’opposé de son corps… Il avait tenté bien des méthodes, mais toutes furent vaines. Alors il chercha de l’aide ailleurs. Il se concentra sur son travail de héros et alla défier les criminels. Plus ils étaient puissants, plus il insistait pour s’y rendre. Même cette fois-là, où il devait se rendre dans un quartier mafieux pour négocier avec le chef de ce gang au nom de ses supérieurs et qu’il ne laissa derrière lui que des corps sans vie, pour la plupart tombés du ciel. Ce fut l’un de ses plus gros succès héroïque : la pacification d’un quartier de la pègre à lui seul en en sortant indemne. C’était ainsi qu’il devint l’un des atouts de l’agence Seigi et qu’on l’appela la Mort, bien que son apparence y était aussi pour quelque chose.

Malgré tout, vous ne l’entendrez jamais se vanter de ses exploits, car il n’était pas comme les autres héros. Il ne luttait pas pour le bien ou pour le mal. Il fonçait dans le danger la tête baissée, sans un regard en arrière, le sourire aux lèvres en se disant que ce serait la dernière. Et il revenait, toujours, le visage un peu plus triste qu’avant. Il était le seul héros à désespérer de ses victoires en souhaitant la défaite. A prier pour tomber sur un criminel capable de le vaincre. A aller en mission en espérant mourir.

En vain.

Mais pour comprendre la raison de son caractère actuel, il faut revenir en arrière. Loin en arrière. Jusqu’aux prémices de ce scénario cliché. Le 28 février de l’an 48, le scandale d’état au Japon dévoila l’utilisation de détenteurs d’alters à des fins de recherches et d’études, le plus souvent contre leur gré. Et bien que le gouvernement changea et que plus de deux siècles s’étaient écoulés, il demeurait des petits laboratoires qui poursuivaient leurs manigances à l’abri des regards. L’une des missions de l’agence Tsukeru était de retrouver ces planques et de les infiltrer pour établir le meilleur plan possible. Après tout, il fallait à la fois sauver les victimes mais aussi coincer les scientifiques pour éviter d’autres drames. Mais malgré tous les efforts du monde, les choses ne se déroulaient pas toujours selon le plan préétabli, et notamment pas lorsqu’il s’agissait d’un endroit où des possesseurs d’alter étaient drogués quotidiennement et qu’ils ne maîtrisaient donc pas leur pouvoir. Un incendie éclata, brûlant tous les documents de recherche, un cobaye et deux criminels, selon la version officielle fournie par l’agence Tsukeru.

Notre protagoniste alors âgé de dix-sept ans se réveilla dans une chambre d’hôpital comme les autres victimes. Comme les autres, un héros de l’agence Kyuunan était là pour veiller sur lui. Pour garantir sa sécurité. Mais ne protégeaient-ils pas plutôt celle des autres ? Divers produits étaient mis en place pour purger les organismes des anciens cobayes de toute drogue, hormis chez notre protagoniste où l’apparition de portails empêchaient toute approche invasive. Chez d’autres, étant donné les seringues et les poches, il ne fallut pas longtemps pour qu’un certain brouhaha se forme. Après tout, les victimes recouvraient leurs esprits dans un environnement quelque peu similaire au précédent. Mais là c’était bien pour ça que des héros se trouvaient auprès d’eux. Dans le cas de notre protagoniste, il s’agissait d’une héroïne. Lorsqu’il retrouva un semblant de conscience, elle lui demanda son nom. Il répondit par 112879. Alors, comme dans chacune des chambres, le surveillant prit l’initiative de lui attribuer un vrai prénom. Dans notre cas : Korosu.

Le premier souvenir de Korosu date du jour suivant sa libération. Il ne connaissait rien du monde et l’héroïne qui s’occupait de lui lui avait conseillé d’étudier à Yuei, ne serait-ce que pour apprendre à maîtriser son alter. N’ayant qu’une option en main, Korosu accepta machinalement et se retrouva dans le cursus héroïque car la première personne dont il se souvenait en était une. Celle-là même qui le nomma.

Durant ces trois années il apprit le monde et la vie. La nature et le contrôle de son alter. Les règles les plus importantes qui régissent la société. Ayant été dans la classe S, Korosu devint un héros de l’agence Seigi. Il travailla machinalement deux années, car c’était la seule voie qu’on lui avait indiqué, mais l’héroïne était toujours à ses côtés. Elle était là en-dehors de ses heures de travail. Elle était là quand il doutait et s’interrogeait. Elle était là quand il cherchait des réponses sur son passé auprès de l’agence Tsukeru. Elle était là la nuit, à ses côtés et dans son lit. Elle était son premier repère et sa moitié. Elle était la voie qu’il avait choisie. La voie qui l’avait sauvé de dix-sept années d’amnésie. Et elle était sa joie aussi.

Elle l’était.

Jusqu’à cette fameuse nuit où ils s’étaient endormis en cuillère, elle blottit langoureusement dans le creux de ses bras. Mais lorsqu’il se réveilla en sueur d’un cauchemar sordide, elle n’y était plus. Elle était affalée dans la rue voisine, au bord de la route, les membres désarticulés et le corps en sang. Comme si elle avait sauté par le balcon de leur résidence. Les autorités conclurent à un suicide, mais Korosu savait qu’il n’en était rien. Elle n’avait aucune raison de l’avoir fait. Par contre, il savait que malgré cette longue formation à Yuei, il ne maîtrisait toujours pas pleinement son alter. Sa malédiction était sujette à ses sauts d’humeurs. Sa compagne l’appelait une bénédiction, car ses portails apparaissaient toujours pour le sauver de tout danger. Ou potentiel danger… Sa moitié en était un aux yeux de l’alter ? Il avait la certitude d’avoir assassiné son unique repère, et son chagrin était d’autant plus grand que la justice ne le condamna pas. Comme si son action était légitime, excusable. Comme si elle avait mérité pareil sort. Comme s’il ne la méritait pas…

Fou de désespoir, il tenta de retrouver sa moitié. De la rejoindre sur l’autre rive. Mais il n’y parvint pas. Toutes ses tentatives furent vaines : ses portails apparaissant toujours pour écarter le danger, quel qu’il soit. Korosu ne voulait plus vivre mais ne pouvait mourir pour autant. Il noya alors son chagrin dans son travail. Il enchaînait les missions de plus en plus dangereuses, en faisant toujours la demande d’être seul, bien que cette dernière ne lui était pas toujours accordée. Il fuyait tout contact social pour éviter de nuire à autrui et se réfugia exclusivement dans son travail dans un seul but. S’il se rendait dans les missions les plus à risque au point d’en devenir l’un des atouts de l’agence Seigi, c’était pour une raison bien précise : il espérait tomber sur un criminel capable de le vaincre, de le défaire. De le tuer. Korosu était un héros qui combattait les criminels dans l’espoir de faillir à sa mission. En vain. Il revenait sans cesse victorieux, et toujours indemne, laissant la plupart du temps derrière lui des criminels affalés au sol blessés, voire souvent inconscients, après une longue chute. Alors on le nomma la Mort Son champion et son cavalier. La Faucheuse solitaire qui balayait à tour de bras et qui revenait sans cesse intact. Il était adulé comme un héros. Il était un héros. Mais chaque victoire le désespérait un peu plus…