[AV/T] Guritchi Itaki

C’est une question difficile que vous me posez là. Je n’ai aucun remords, je pense avoir pris les bonnes décisions tout au long de ma vie. En m’inscrivant à Yuei, j’ai pu rencontrer une fille formidable. Au début ce n’était qu’un échange de bons procédés entre deux lycéens, je l’aidais dans les matières techniques et en retour elle m’aidait dans les autres matières. J’ai mis du temps à comprendre que ce n’était qu’un prétexte pour elle, faut dire que je n’étais pas le plus futé à l’époque. Elle était en filière héroïque, rien de ce que je lui racontai n’était à son programme, et pourtant elle m’écoutait débiter toute ma science et se passionnait même pour mes inventions. Moi en retour, je ne m’étais pas intéressé à elle, c’est à peine si j’avais retenu son nom. Quand j’ai enfin compris, j’étais décidé à rattraper mon erreur. Hanabi, elle s’appelait Hanabi. « Feux d’artifice », elle portait magnifiquement bien son nom, c’était une boule d’énergie qu’on ne pouvait s’empêcher de regarder. Je l’invitai à boire un verre, elle me parla de sa vie. Fille de bonne famille, elle aurait pu vivre aisément, loin du tumulte de la vie de héro, mais son rêve était de devenir professeur à Yuei. D’après elle, en devenant une héroïne elle ne pouvait sauver qu’une centaine de vies tout au plus, alors qu’en entraînant les futurs héros elle en sauverait bien plus. J’vous avoue que sur le coup j’ai trouvé ça con comme raisonnement, m’enfin qui suis-je pour juger les rêves des autres ? Enfin bref, on continua ainsi à se voir pendant quelques années. Quand on n’avait plus rien à se raconter, on décida d’emménager ensemble pour se raconter nos journées le soir venu. Quelques mois plus tard, elle m’annonçait être enceinte. Ça on ne l’avait pas vraiment décidé, mais on en été très heureux, assez pour qu’elle accepte de m’épouser. Vous voyez, un enchaînement de bonne décision qui me rendait le plus heureux du monde.

Mais ça c’était il y a sept ans... Avant que je retrouve Hanabi morte, vidée de son sang dans notre appartement…  Inutile de vous dire que j’étais désemparé, impuissant. Mais bien plus que la perte d’Hanabi, ce qui m’a le plus affecté c’est la disparition de notre fille. Perdre Hanabi était une chose à laquelle nous nous étions préparés elle et moi, nous étions conscients des dangers que comportait notre métier, on devient rapidement la cible des criminels. Cependant nous avions toujours mis un point d’honneur à ce que notre métier ne déteigne jamais sur notre fille. Les enfants n’ont pas à subir les conséquences de la vie de leurs parents. 

Alors oui, j’ai beau penser avoir pris les bonnes décisions tout au long de ma vie, je ne peux m’empêcher de penser que si j’avais décidé autrement à certains moments, rien de tout ça ne serait arrivé. Si j’avais pris un congé à sa place pour m’occuper de notre fille. Mais vous savez, je ne suis pas un père modèle, c’est à peine si j’étais capable de changer ses couches quand elle était bébé... Je dirais donc que je suis plutôt satisfait de ma vie, mais si c’était à refaire, j’accorderai encore plus d’importance à ma fille et délaisserai un peu plus mon travail.

A vrai dire, je n’ai jamais voulu devenir un héros, risquer ma vie pour sauver celles d’inconnus, atteindre la célébrité, très peu pour moi. Petit déjà, quand j’entendais la télévision encenser les   interventions de chaque héros, je me demandais pourquoi ils n’intervenaient pas plus tôt. N’était-il pas mieux d’empêcher une prise d’otage plutôt que de sauver ces mêmes otages ? Je sais, c’est le raisonnement puéril d’un enfant qui ne comprend rien au monde qui l’entoure. Mais que voulez-vous, je suis resté un grand enfant. Le culte que la société voue aux héros est un danger au moins aussi important que les criminels eux-mêmes. L’héroïsme aujourd’hui n’est qu’une vaste blague, il s’agit bien plus d’acquérir de la popularité que de sauver des innocents. Plus la situation est grave, plus le mérite sera grand et ceux pour les deux camps. On se retrouve dans une situation ou le crime sert l’intérêt de tous, sauf de la population. Bien sûr, j’exagère, je sais bien que bon nombre de héros restent modestes et ont de nobles intentions, mais au final si on veut vivre de ce métier la modestie n’a pas sa place. 

C’est dans cette optique que j’ai décidé de devenir un héros/ingénieur. Je souhaite trouver un moyen de prévenir les crimes plutôt qu’agir après. C’est utopique me direz vous, je vous répondrai qu’on en a déjà les moyens. Il y a déjà des caméras de surveillance à chaque coin de rue, les grandes corporations savent tout de votre vie. Le problème n’est pas tant technique qu’idéologique. Tout le monde sait qu’il est observé, mais essayez de leur annoncer très clairement que vous allez les observer pour les protéger et des émeutes éclatent. Il faut donc trouver une autre solution, un moyen éthique ou plus discret et surtout convaincre les politiques et le peuple.

J’évite de le clamer haut et fort, mais je ne suis pas d’accord avec la position du gouvernement au sujet des alters. Ouais, il n’y a pas beaucoup de points sur lesquels nous sommes d’accord. Je trouve cela injuste de priver une partie de la population de son identité sous prétexte qu’elle représente un  risque potentiel. En plus d’être injuste, c’est inutile, les lois n’ont jamais empêché ceux qui le souhaitent de faire du mal. Je suis persuadé que cette décision aura les mêmes effets que la religion a pu avoir par le passé en freinant le développement de notre société. Je suis d’avis de mettre à profit toutes ces capacités au quotidien plutôt que de réserver ce droit aux actes héroïques. Nous ne sommes pour l’instant que vingt pourcents de méta-humains, mais d’ici quelques dizaines d’années ce nombre va augmenter et je doute que la cohabitation puisse continuer dans ces conditions, alors autant s’y accommoder dès maintenant. 

M’enfin, vous savez, je suis un idéaliste dans l’âme, j’accorde beaucoup d’importance à la liberté sous toutes ses formes. Je suis aussi conscient du danger que représente les alters, mais que voulez-vous, quand quelqu’un a des pouvoirs dignes d’un dieu il ne vous reste qu’à espérer qu’il soit du même côté que vous.

Me concernant, mon alter n’a pas toujours été facile à gérer, surtout pour mes parents. Je ne marchais pas encore qu’ils avaient dû changer tout l’électroménager, une chance que mon père en vendait. En grandissant, j’ai appris à contrôler mon pouvoir suffisamment pour ne plus rien dégrader involontairement. Avec le temps, j’étais capable de l’activer à ma guise, autant vous dire que j’étais un monstre sur tous les jeux-vidéo. Mon père aussi commençait à apprécier et utiliser mes pouvoirs. Tous les week-end il m’envoyait rendre visite à ses concurrents pour que j’endommage leur marchandise. En quelques mois, la réputation des autres magasins étaient en bernes tandis que mon père voyait sa clientèle augmenter en flèche. Ça n’a donc pas toujours été facile, mais au final mon alter me convient parfaitement. Il est bien moins spectaculaire que d’autres mais il est plein de potentiel. Parfois je me dis que j’aurais fait un excellent criminel avec mon alter, cambrioler des banques, voler des données… Faire crasher un avion… Mais bon, ça aussi j’évite de le clamer haut et fort.

Encore vous parlez de ma vie ? J’vous ai tapé dans l’œil ou quoi ? Je vous préviens je suis un homme marié, veuf certes, mais marié tout de même, j’ai des principes. Tiens puisqu’on parle d’œil, excusez la transition, je peux vous raconter ce qu’il s’est passé avec mon œil gauche. 

L’histoire reprend là où nous l’avons laissée auparavant. Suite à la disparition de ma fille et une fois le deuil fait, je me suis bien entendu mis à sa recherche. Pour ce faire j’ai mis en place tout un dispositif très complet qui surveille toutes les caméras de surveillance, les vidéos et les photos qui circulent à la recherche d’un visage pouvant correspondre, tandis que je menais moi aussi ma petite enquête à côté. La première concordance ne tarda pas, quelques semaines à peine. C’était une vidéo pornographique si vous me permettez l’euphémisme. Les deux visages ne se ressemblait pas beaucoup, quelques ajustements à faire dans mon système, mais il aurait pu s’agir d’un garçon que je serais aussi intervenu, il fallait que j’en ai le cœur net.

Remonter la trace de la vidéo fut aussi simple que de convaincre mes supérieurs de me laisser intervenir, c’est l’avantage avec ce genre de crime odieux, ils dégouttent tout le monde ou presque.  On m’imposa un binôme, pas étudiant mais presque. Encore aujourd’hui j’ignore son nom, mais il m’accompagna devant la porte d’une maison dans un quartier malfamé du grand Tokyo. Il se proposa pour monter la garde, il devait se croire dans un film d’espionnage, je ne voulais pas briser son rêve et j’entrai donc seul dans la demeure. A l’intérieur le sol et les murs jonchés de VHS me confirmait que je ne m’étais pas trompé de maison. Après un rapide tour du rez-de-chaussé, j’empruntais le vieil escalier en bois qui menait à l’étage. Chaque pas s’accompagnait d’un grincement qui me ferait passer pour un amateur auprès des autres membres de l’agence.

Une fois en haut plusieurs portes se présentaient devant moi, mais une en particulier attira mon attention car de la lumière se dégageait des ouvertures. Je m’approchai discrètement cette fois de la porte, mais le mal était fait : j’étais déjà repéré. J’actionnai la clenche et ouvrait doucement la porte. Après quelques secondes je me décidai à jeter un coup d’œil quand au même moment je vis un projectile voler vers moi. Je manquai d’attention, c’était ma première opération depuis le drame que j’ai vécu, je n’étais pas là pour retrouver ma fille mais plutôt pour laisser libre cours à la colère qui me rongeait. Je n’eu pas le temps d’esquiver, j’étais touché à l’œil par de l’acide. Sur le coup je ne ressentis aucune douleur, la colère me gagnait de plus en plus. 

Je ne suis pas particulièrement fier de ce que j’ai fait après, ce n’est pas quelque chose que devrait faire un héros. Une balle dans chaque jambe pour éviter toute tentative de fuite, deux autres dans les mains pour empêcher toute autre attaque. Je me suis assuré qu’il souffre autant que moi. La torture n’est pas quelque chose qu’on vous apprend à l’école mais l’esprit humain ne manque pas d’imagination pour ce genre de choses. Alors j’ai laissé libre court à mon imagination pendant une dizaine de minute. Quand j’étais calmé, je l’achevai d’une balle dans la tête. Malgré mes actes, j’étais resté plutôt propre afin d’éviter au maximum tout soupçons. Au vu des faits, il n’y eut aucune enquête. Le meurtre passait pour de la légitime défense, j’avais fait mon possible pour le capturer vivant en le blessant aux quatre membres, mais ce ne fut pas suffisant et je dus l’achever. Je passais pour un héros, plutôt ironique. En fouillant la maison, la police découvrit qu’il préparait une attaque à l’arme chimique, il vendait ses vidéos pour financer ses projets. Ma vendetta personnelle avait donc fini par sauver des milliers de vies et je me retrouvai bien malgré moins sur le devant de la scène.

Je ne suis pas fier de cet épisode de ma vie, mais il était nécessaire. Il m’a permis de relâcher toute la haine que j’avais en moi au grand malheur de la victime. Vous allez peut-être crier au mensonge,  mais je n’ai plus ressenti aucune haine ni colère depuis ce jour. J’ai continué ma quête à la recherche de ma fille depuis et ça m’a permis d’arrêter bon nombre de pédophile, réseaux de détournement de mineurs etc. à travers le monde. Ce cache-oeil symbolise en quelque sorte le passage à une autre vie pour moi.

Je vous ai dit plus tôt que je n’étais pas du genre à risquer ma vie pour les autres. Je ne mentais pas mais ça ne veut pas dire que je reste sans rien faire pour autant, j’ai une manière bien à moi d’agir. Puisqu’on fait dans les anecdotes aujourd’hui, je vais vous raconter ce qu’il s’est passé lors d’un de mes rendez-vous avec Hanabi. Notre relation était déjà bien engagée à l’époque et nous étions tous deux diplômés. Alors que nous discutions autour d’un café dans un coffee shop, un groupe d’hommes armés fit irruption. Hanabi était prête à intervenir mais je la retint, non pas que je la croyais incapable, j’avais simplement envie de m’amuser un peu.

La première chose que je fis fut de m’assurer qu’ils ne puissent pas s’échapper, pour ce faire j’utilisai mon alter afin d’altérer temporairement la serrure de la porte. Après, il suffisait d’attendre. Oui, mes plans sont plutôt simples. Une fois l’argent de la caisse dans leur besace, ils s’attaquèrent aux clients leur ordonnant de donner tout ce qu’ils avaient de valeur. Tous s’exécutaient. Quand vint notre tour, on ne broncha pas. Nous avions continué notre discussion comme si rien n’était. Excédé,  un d’eux tenta de tirer vers moi, les cris de peur des autres clients couvrit le coup de feu. C’est ce que les criminels pensèrent, car il n’y avait pas eu de coup de feu. Tout comme la serrure, j’avais utilisé mon alter sur l’arme. C’était un modèle classique que je connaissais bien, ça ne représentait aucune difficulté. Pendant ce temps, Hanabi en profitait pour appeler la police. Bien entendu, ils tentèrent de l’en empêcher tout comme moi je les empêchais de l’en empêcher, vous suivez ? Quand ils comprirent que leurs armes ne leur seraient d’aucune utilité, ils passèrent à la violence physique. Mon alter est moins efficace sur les êtres vivants, mais s’il y a contact physique c’est tout de suite plus facile. Qui eut cru que faire du pied pouvait sauver des vies ? Un bug de collision bien timé au moment du premier coup de poing, puis du deuxième et enfin du troisième. Ils ne comprenaient pas, ils l’avaient pourtant touchée mais il n’y avait aucun impact. Pour ajouter à leur désarrois, je relâchai l’emprise que j’avais sur leurs armes qui pointaient désormais vers leurs pieds. Convaincu d’être maudit, ils tentèrent de s’échapper, en vain. Quelques minutes plus tard, la police arriva et s’occupa de la suite. 

Vous l’aurez compris, je ne suis pas le genre de héros que vous aimeriez voir arriver pour vous sauver, mais je reste efficace au vu de mes capacités.

Malgré le drame que j’ai vécu, j’ai mis un point d’honneur à ne pas changer mes habitudes de vie. Enfin, Hanabi et moi avons pris cette décision, on a longuement discuté de l’éventualité que l’un des deux meurt et le plus important pour elle était de continuer de vivre chaque jour pleinement. Moi j’étais plutôt d’avis à me morfondre sur mon sort mais il ne vaut mieux pas contrarier Hanabi, même morte.

Je me lève donc tous les matins de bonne heure, comme lorsque je préparais encore le petit-déjeuner pour tout le monde. Aujourd’hui, les cigarettes ont remplacé les tartines et les céréales, moins nutritif mais tellement plus réconfortant. Un footing, une douche et je prends le chemin de l’agence. Après tout ce qu’il s’est passé, les membres de l’agence sont ce qui se rapproche le plus d’une famille pour moi. Ouais je sais, c’est un peu cliché, mais même s’ils ne sont pas tous très malins et qu’ils m’énervent souvent, ils sont le dernier lien avec ma vie d’avant. Ça fait maintenant dix-sept ans que je suis à Tsukeru, plus de la moitié de ma vie. Ils m’ont été d’un bien meilleur support que ma vraie famille. Je crois qu’ils m’apprécient aussi, surtout depuis qu’ils savent que je peux mettre la machine à café hors-service, mais c’est une autre histoire.

Quand ma journée est finie, je rentre chez moi. Je sors en général tous les soirs, comme quand Hanabi et moi étions encore dans la phase de séduction. Elle m’emmenait faire des sorties culturelles : cinéma, opéra, ballet, expositions. Elle n’avait de cesse de me dire que je devais lever le nez de mes inventions et m’ouvrir au monde qui m’entoure, alors je tiens ma promesse, aujourd’hui encore. Je dois vous avouer que je ne suis pas très sensible à toutes ces formes d’arts qui veulent nous faire ressentir des émotions. Je préfère de loin la précision, le réalisme et l’exhaustivité des notices d’utilisation. Il n’y a rien de mieux que de finir un livre en sachant tout ce qu’il y a à savoir, sans avoir à chercher la signification de chaque détail.

Enfin, quand ma journée est terminée, généralement pendant mon repas, je raconte mes aventures du jour à Hanabi. Oh j’vous en prie, je suis pas fou, j’suis bien en train de vous raconter ma vie. Un dernier passage par la chambre de notre fille et je me couche. Voilà le quotidien d’un veuf à la recherche de sa fille.