- Dossier - Fubuki Nami:
Je poussai un léger soupir en refermant le dossier.
Il était évident que le mien figurerait dans le tas de ceux que j'avais a trier, mais je n'y avais pas pensé en me mettant à la tâche. Tomber dessus avait éveillé ma curiosité au point où, après un coup d'oeil discret dans les locaux, je m'étais empressée de le feuilleter.
Finalement, j'étais à la fois soulagée, mais aussi déçue par son contenu.
Aucune note négative mais des informations relativement succinctes qui, bien que primordiales, ne déterminaient pas réellement qui j'étais. Pas plus qu'il n'était mentionné la raison, pourtant connue de mes supérieurs, sur ma réticente à me servir de mon alter. Moi je m'en souvenais parfaitement...
C'était un jour d'hiver de décembre 287. L'une de ces rares journées de week end où nous nous retrouvions en famille, sans que papa ne soit appelé soudainement en renfort ou que maman ne travaille.
Profitant de cette occasion, nous avions quitté notre appartement en périphérie de Tokyo pour nous rendre dans l'un des parcs de la métropole : le Spring Parc, me semble-t-il.
Il faisait relativement froid, mais je ne le ressentais pas : bien trop occupée a courir partout, le sourire aux lèvres, en passant d'une aire de jeux à l'autre, aussi casse-cou et énergique que je l'étais.
Malgré tout, je me souviens très bien de cette température hivernale car mes parents et moi étions bien emmitouflés dans nos vêtements propices.
Je me rappelle même de mon émoi en remarquant la fumée sortant de ma bouche, louchant presque pour regarder ce spectacle toujours aussi fascinant, peu importe combien de fois je l'observais.
L'endroit était désert et le ciel gris laissait même présager la neige. Alors je le scrutais de mes yeux azur, entre deux temps morts de jeux, en espérant voir des flocons tomber : en vain.
Finalement, l'heure de rentrer arriva sans que je ne puisse voir la moindre poudreuse, pourtant certaine qu'elle ne tarderait pas, me faisant refuser de suivre mes parents vers le chemin de la maison.
Colérique, je protestais vivement malgré les demandes répétées de mes parents : d'abord cordiales puis finissant par faire prendre à mon père son ton autoritaire de flic, comme je l'appelle.
Sans ménagement, et par exaspération, il m'attrapa le poignet pour me forcer a avancer me laissant exprimer des larmes de mécontentement. Ma main libre chercha a retirer la sienne pour me défaire de sa prise et rester au parc, évidemment sans succès.
Sous cette frustration mêlée de colère, de la glace hérissée apparue sur son avant bras, quelques pics se plantant de sa chair, laissant apparaître un sillon écarlate en même temps qu'un profond cri et juron de douleur.
Pourtant, désormais libre de sa prise, je ne pus faire qu'un pas en arrière avant de me figer, le regard écarquillé trahissant ma peur soudaine.
Ma mère se rua sur mon père tordu de douleur qui tenait son bras blessé. Malgré sa panique notable, elle garda son calme trahissant l'habitude de sa profession et lui clama de ne pas y toucher, de laisser la glace comme telle le temps de se rendre à l'hôpital. Elle n'avait rien sur elle pour tenter d'y remédier en guise de geste de premiers secours, hormis une valisette sommaire plutôt réservée à mes propres chutes habituelles et routinières.
L'incompréhension se lut dans son regard lorsqu'il croisa le mien. Celui de mon père, en revanche, n'exprima que le reflet de sa souffrance.
Consciente de mon état, elle vint malgré tout rapidement à ma hauteur sans que je ne bronche. Incapable de lui demander de s'éloigner pour ne pas risquer de la blesser à son tour et sans doute même trop petite pour le comprendre...
Mes parents me l'expliquèrent plus tard : c'était mon alter qui s'était éveillé. Une explication que je ne comprenais pas plus. C'était quoi un Alter ? Une maladie ?! J'allais devoir aller a l'hôpital ?!
A l'époque, je me souviens avoir eu l'impression que mes parents ne m'aimaient plus et pire encore, qu'ils avaient désormais peur de moi. C'était en tout cas l'idée que j'en avais avec mon regard d'enfant alors qu'ils étaient en réalité simplement inquiets et désemparés devant cette situation aussi soudaine qu'inattendue.
Ils restèrent malgré tout unis, me faisant rapidement comprendre que cela ne changeait rien de leur amour et que c'était à mon grand-père maternel, décédé peu avant ma naissance, que je devais cette faculté extraordinaire. Je ne voyais pourtant pas les choses ainsi...
Terrorisée par cette anormalité – bien que j'avais déjà observé quelques mutations physiques au sein de Tokyo – je fis en sorte de ne plus la manifester.
Bien sûr, il y eu des ratés, remarquant que ce pouvoir semblait plus enclin à se manifester contre mon gré lorsque je perdais le contrôle de mes émotions mais, lorsque je le compris, plus jamais il ne réussi à se dévoiler.
Une fois les choses tassées, je repris ma joie de vivre habituelle et mes parents eux même redevinrent comme avant l'incident. Tout était plus simple ainsi.
C'était du moins ce que je croyais.
Mon père n'en montra rien mais garda des séquelles de ma perte de contrôle. Les nerfs de son avant bras atteints lui provoquaient des spasmes par moment, lui faisant perdre en précision dans ses mouvements, et surtout en stabilisation de tir lorsqu'il devait se servir de son arme.
Il prit pourtant toujours à coeur son travail - ou plutôt sa vocation comme il l'appelait - tout comme ses entraînements.
Ma croissance lente l'inquiéta même un peu, craignant que mon petit gabarit m'empêcherait de me défendre et m'exposait donc au danger.
C'est avec cette motivation qu'il se mit à m'entraîner à partir de mes huit ans. Un apprentissage basé principalement sur des techniques de désarmement, d'auto défense et d'arrestation : de quoi renforcer mon corps fluet et mes possibilités de fuite dans ce monde de vilenie.
Pour parfaire ma panoplie de connaissances « basiques » en tant que « mini officier », comme il m'appelait, il ne manquait plus qu'une chose à savoir : le maniement des armes à feu.
Un apprentissage contesté par ma mère, soulevant bons nombres de débats entre eux, jusqu'au jour de mes douze ans où il m'offrit un pistolet à billes avec lequel il m'apprit à tirer, visant, tout en cliché, des boites de conserves disposées sur une souche d'arbres dans un endroit peu fréquenté.
J'aurais pu voir cela seulement comme un jeu, comme la plupart des enfants de mon âge avec un tel ... « jouet » mais je connaissais l'usage des répliques originales et le poids que cela représentait. Prendre une vie ou blesser, n'avait rien d'un jeu, comme mon père ne cessait de me le rappeler.
Sa démarche était une nouvelle fois dans un but d'auto défense, au cas où. Exactement de la même façon que lorsqu'il me donna un spray au poivre, quelques temps auparavant.
Un an plus tard, il me convia à l'une de ses interventions - évidemment sans grande dangerosité - pour me donner un aperçu de la réalité du terrain en compagnie de sa brigade. Une expérience qui m'exalta tellement que la simple découverte se mue peu à peu en vif intérêt, lui demandant fréquemment de la renouveler pour finalement devenir un véritable engouement pour la profession : je désirais être au service du peuple à mon tour, de veiller à leur sécurité et leur protection tout en luttant contre la criminalité.
Seulement, vu mon âge, les possibilités d'y prendre part furent rares et à défaut, mon intérêt se porta sur les différentes armes à feu. J'emmagasinais, dès lors, bons nombres de connaissances sur le sujet sur mon temps libre. Des différentes catégories d'armes et leurs effets, en passant par le type de munitions pour chacune d'entre elles ou même encore leur distance de recul.
Des informations apprises à travers des livres, beaucoup de livres, mais aussi auprès des spécialistes en armement et des experts balistiques oeuvrant au sein ou pour le compte du commissariat de police.
Il était indéniable que le gallon de mon père me permit certains privilèges pour pouvoir observer tout cela et converser avec les professionnels.
Ma fascination pour le sujet était telle que je comptais en faire ma vocation professionnelle : une experte en balistique œuvrant sur les lieux d'une affaire pour déceler les indices et reconstituer les éventuelles trajectoires de tir pour faire avancer l'enquête. Le temps me fit cependant douter, portant également mon choix en tant que « simple » officier dans les forces de l'ordre... Après tout, le dynamisme de cette option me parlait bien plus que pour la première.
Cependant, les plans ne se déroulent que rarement comme prévus.
Une année supplémentaire plus tard, alors que je me trouvais en intervention avec l'équipe de mon père, nous nous rendîmes vite compte que notre suspect n'était autre qu'un vilain, utilisateur d'alter. Dépassés par cette découverte et incapable d'y faire face, la brigade contacta un héros de renom pour s'occuper de l'affaire pendant que nous supervisions en retrait, prêt a porter assistance pour l'arrestation.
Cette incapacité à réagir me frustra... Nous étions tout simplement impuissants face à la puissance démesurée de notre ennemi.
Ce fut cet élément déclencheur qui me fit repenser à mon propre alter et a l'utilisation que je pourrais en faire afin de mieux venir en aide aux forces de polices.
Pleine de convictions - et ce malgré l'aversion pour mon alter - je décidais de suivre le cursus héroïque du seul établissement a le proposer à ce jour : Yuei, afin d'apprendre à contrôler mon alter et d'en dépasser la crainte pour le mettre aux services des autres.
Une décision difficile pour une première année qui le fut tout autant : pleine d'hésitations, d'échec et surtout de peur.
Une absence de maîtrise qui me terrifiait, tout comme l'utilisation même de ce pouvoir qui n'avait rien de naturel.
Ma deuxième année se révéla bien moins oppressante, dans le sens où la crainte de mon alter se dissipa à force de côtoyer des personnes possédant la même singularité. Ces mêmes personnes devenues des camarades et même, pour la plupart, des amis. Je n'étais pas seule, nous formions une communauté.
Malgré tout et même à l'heure d'aujourd'hui alors que j'entame ma troisième année, je reste toujours peu douée dans le contrôle de mon alter mais je parviens bien plus à progresser maintenant que ce frein lié à la peur n'existe plus.
L'utilisation désormais relativement fréquente de ma glace et ma présence quasi constante à Yuei, m'a fait mettre mes armes aux placards malgré les permis de détention et d'utilisation obtenus.
Elles ne me servent plus qu'en de rares occasion, lorsque j'interviens en renfort dans la brigade de mon père, sur mon temps libre.
Hors de mon service ou de l'établissement, il n'est cependant pas rare que j'en porte une, dans un holster, bien que dépourvu de munitions, simplement en guise de dissuasion.
M'étirant après le rappel de ces souvenirs, je terminais de trier les derniers papiers devant moi, et finis par ranger le tout dans les tiroirs métalliques desquels je fermais les cadenas, quittant le petit bureau placé dans le coin d'une pièce, celui là même appartenant à tout le monde et personne à la fois.
Éteignant la lumière fraîchement allumée alors que le soleil avait commencé son déclin, je traversai finalement les couloirs de l'aile que je connaissais par cœur, saluant les quelques officiers que je croisai sur mon chemin. J'éprouvais une réelle sympathie pour certains alors que d'autres n'avaient conscience de mon existence seulement parce que j'étais la fille de l'un de leurs lieutenants.
Pas de mission d'intervention aujourd'hui, seulement de l'aide administrative pour classifier des documents ayant leur importance sans pour autant être capitaux.
La journée touchait de toute façon à sa fin, tout comme mon temps libre en ce dimanche soir.