[AV/T - JH] Lyes Vidarr || You've met with a terrible fate, haven't you ?

Lyes mettrait bien du temps à répondre à cette question. A vrai dire, il met du temps pour chaque question posée à son encontre. Il prend un temps fou à trouver les bons mots, à disséquer la situation, à se prendre la tête pour la moindre chose. Car il ne veut blesser personne, car il a trop blessé dans sa vie si courte.

« Avez-vous déjà eu ce sentiment d’avoir vécu mille vies sans avoir ressenti la vôtre ? »

L’homme sembla perplexe, surpris par cette réponse. Lyes étira un sourire puis laissa échapper un rire, comme pour rassurer sur cette blague aux connotations noires. Puis il observa par la fenêtre, et il y vit toute la métaphore de sa jeune existence. Rester en arrière, observer les autres guider sa vie, son corps bouger sans lui, une fenêtre sur le monde extérieur sans réellement le ressentir.

Être le petit-fils de Mebura Cho possède ses avantages lorsque l’on vit au Japon. Rentrer à Yuei n’a pas été chose difficile avec cet argument de poids. Sa grand-mère était toujours là pour le soutenir, lui rappeler qu’un alter lié aux animaux était comme chose commune dans leur famille. Alors pourquoi sa mère était-elle simple humaine ? Une honte aux yeux de la harpie, des confrontations dès l’adolescence, un départ pour la Norvège et sa liberté froide. Au fond, sans cette glace entre sa mère et sa grand-mère, sa génitrice n’aurait pas rencontré son père, et Lyes n’aurait jamais vu le jour. Lyes n’aurait jamais été la pupille de sa grand-mère lorsque le couple se maria et vint vivre au Japon.

« Pourquoi revenir si tu la hais tant que ça ?
- Je ne la hais pas Lyes. Comme j’aurais beau être exécrable avec toi, tu ne me détesteras jamais. Ce sont les liens du sang, et ils sont importants. »

Au fond, il avait compris, Lyes, que les deux étaient si semblables qu’elles ne se supportaient qu’à moitié. Puis, il repartait jouer avec un écureuil, dans les abords de la forêt de Shikoku, sous le regard inquiet de sa mère. Pourquoi était-elle revenue ? Par peur pour son enfant, tout simplement. Par peur de cet alter qui se développait dans cette petit tête blonde et l’emmenait toujours plus loin d’elle. Elle observa sa main dont la trace des crocs de son bébé apparaissait encore malgré deux années passées.

Mebura était une solution évidente, rassurante. La grande dame avait depuis pris sous son aile le jeune garçon et l’avait entraîné même avant Yuei dans les forêts profondes de Shikoku. Si le jeune enfant n’avait guère de licence héroïque, il fallait lui apprendre les limites de ce don, pour éviter de le perdre. La harpie ne pouvait pas laisser son petit-fils disparaître dans les méandres d’un alter dont la ligne entre la conscience et la mort de l’âme était si fine. Alors, elle l’entraînait plus jeune, à revenir, à écouter sa voix plutôt que celle de l’animal et de l’adrénaline. Lyes se rappelle maintenant, car dès ses dix ans, il avait eu cette impression d’être derrière une fenêtre et d’observer sans agir. Revenir à cet état humain, alors que l’animal lui, lui faisait s’extirper de cette vitre, brisait cette limite pour mieux courir et ressentir.

Le jeune homme observa ses mains recouvertes de cicatrices du quotidien, de celles où il cuisine avec brio et tendresse en compagnie de son père chef cuisinier, à celles de combat et d’effort. Car malgré un collège lambda, Lyes prenait des cours particuliers de combat rapproché, d’escalade, de mise en situation avec sa grand-mère. Elle prenait toujours du temps pour lui, toujours pour l’amener au meilleur de ses capacités physiques et analytiques. Il se rappelle ramper dans la boue, escalader des arbres, sauter de branche en branche, tirer à l’arc et pratiquer le kendo comme le karaté. Car Lyes devait être le meilleur, car il était le petit-fils de Mebura Chuo. Finalement, il y avait bien des désavantages à cette situation. On ne lui a jamais demandé s’il voulait devenir héros, aller à Yuei, c’était une évidence pour tous ceux qui contrôlaient sa vie. Sa mère était fière, son père était fier, sa grand-mère étaient fière. Car Lyes rentrait à Yuei et c’était une évidence. Sauf pour lui. Mais comment avouer l’impensable à tous ceux qui attendent le meilleur de ses performances ?

Le jeune homme resserra sa main bien fine et grande pour un garçon de son âge. Son corps s’était développé jeune, pour lui octroyer une musculation fine et réactive. Une année à Yuei l’avait aussi aidé dans cet objectif. Il était un peu la vedette, lorsqu’on savait qui était sa grand-mère. S’il réussissait, on disait qu’on s’y attendait. S’il échouait, on était déçus car il était différent de son ancêtre. Alors Lyes fait toujours tout pour gagner et ne jamais revoir la déception dans le regard de ceux qui comptent.

Son esprit vagabonda, tandis que l’homme qui posait les questions cherchait la prochaine. Il vagabonda jusqu’à effleurer celui du loup dans le parc à côté. Son erreur, sa seule erreur d’enfant qui désormais le suivait partout, où qu’il aille. L’animal ressentit sa tristesse et répondit de cette interrogation trop humaine. Lyes se détacha alors, ne lui envoyant que quelques images simples : le coucher du soleil, l’immeuble dans lequel il était. Il sortirait bientôt.

Ses yeux d’un bleu glacé revinrent à ceux noirs de son interlocuteur. Il étira un sourire calme, confiant. Ce sourire dont il s’ornait toujours et qui lui avait valu d’être un des élèves populaires de Yuei. Un blond métissé aux yeux d’un bleu scintillant, ça ne passe pas inaperçu au Japon, surtout chez les adolescents soumis à leurs hormones. Amical, souriant, généreux et honnête sont les traits qui lui ont valus d’avoir autant de monde autour de lui. Lyes est un rayon de soleil, qui rassure, qui aime, qui ne critique jamais et qui soutient et aide tant qu’il le peut. Il a l’impression qu’il ne peut montrer sa fatigue, parfois, sa tristesse, son manque, son égoïsme, son envie, ce besoin terrible, son animalité. Et ça le tue petit à petit, car il aimerait plus que d’être un passager de son propre corps. Il aimerait briser la vitre et ne plus jamais revenir à cet état. Et ça, c’est ce dont sa famille a peur plus que tout au monde.

Lyes a du mal à répondre à ces questions avec la sincérité propre aux enfants et adolescents. Mais il réciterait son texte en y mettant toute la foi et la candeur illuminant son être. Il vous dirait qu’il souhaite devenir un héros aussi doué que sa grand-mère, qu’il souhaite protéger les plus faibles des plus forts. Mais il ferait aussi part d’un réalisme saupoudré de maturité : on ne peut éradiquer le mal, cela est une utopie. On peut cependant l’amenuiser, l’affaiblir, le contrôler. Il n’y a d’obscurité sans lumière, il n’y a de lumière sans obscurité. Il était là notre meilleur des mondes possible.

Au fond, le jeune homme ne semble s’extirper de la masse des esprits d’apprentis-héros. Il suit les dictates, les pas déjà tracés, et parfois se permet un coup d’œil sur le chemin d’à côté, celui qui l’appelle, celui qui lui hurle de courir à en perdre sa respiration, de grimper jusqu’à ne plus sentir la peau de ses doigts, et de ressentir. Ô de ressentir ! Lyes possède un lien animal si fort avec la nature, son alter a fait émerger des envies aussi simples que profondes. Il le pousse à abandonner toutes ces responsabilités humaines et à juste se laisser aller à une vie sauvage emplie de simplicité.

Mais Lyes sait se contrôler, et il allie cette envie simple à celle plus complexe et bien cachée. Le loup ne veut pas devenir un héros, il ne veut pas le feu des projecteurs. Certes, il possède un instinct protecteur terrible pour la gente humaine, mais aussi pour la gente animale. Et là est son unicité principale. Lyes possède un lien si fort avec les animaux, qu’il ne peut se permettre de les traiter comme une race inférieure. Il veut les protéger du monde qui change, du monde des hommes, des complexités dont il souhaite lui-même se protéger.

Son rêve est simple, tellement simple. Lorsqu’il ferme ses paupières, il voit une maison loin de tout, aux connotations de son enfance. Il se voit en Norvège, son autre pays, sa nostalgie, dans la neige comme dans la douceur du printemps. Il se voit vivre de son jardin, sans personne pour l’observer. Il se voit gardien et propriétaire d’un refuge pour les animaux blessés par l’Homme et la technologie. Il rêve du silence de la forêt, de l’absence totale d’urbanisme. Il rêve d’être loin du brouhaha incessant, loin de ceux qui jugent. Mais le souci avec les rêves, c'est qu'ils s'oublient si facilement.

Lyes ne possède aucune rancœur envers son pouvoir, aucune réelle colère ou regret. Mais il ressent une certaine envie en voyant ceux sans alters vivre une vie sans cette responsabilité leurs mangeant le cœur, une certaine envie pour les altérés de son âge qui savent déjà quel chemin prendre.

Au tout début de l'éveil de ce pouvoir dormant, l’enfant était émerveillé par les possibilités qui se déployaient devant ses yeux. Lui qui était éloigné du reste du monde, au nord d’une péninsule neigeuse avec sa mère pour institutrice et son père comme seul ami, il avait trouvé des compagnons avec qui il pouvait converser d’une façon si particulière. Sa mère ne pouvait comprendre, c’était son secret. Depuis ses sept ans, il appréciait fermer ses yeux et se lier aux écureuils, aux hiboux, aux perdrix d’un blanc pur. Il pouvait voler, il pouvait nager, il pouvait grimper et ressentir ce que l’homme avait perdu de plus beau : le contact avec la nature, l’adrénaline de l’instant.

Mais le regard des adultes finit par biaiser le sien. Elle avait peur, sa génitrice. Et la peur contamine les cœurs, celui du petit garçon même, désemparé lorsqu’à son retour dans son corps de dix années, il découvrit sa mère tenant sa propre paume ensanglantée. Il avait fait cela, et les yeux se posaient sur lui, effrayés, dans l’incompréhension totale. Tout était… Si froid. Elle n'osait plus le prendre dans ses bras.

Non seulement avait-il blessé sa mère, mais il avait blessé le corps même qu’il avait volé. Le louveteau l’observait, cette intelligence à l’âme à l'orée du bois de Hardangervidda, aussi perdu que lui. Cette fine étincelle dont il l’avait maudit. A chaque fois que Lyes fixe le regard lupin à ses côtés, il se rappelle de son erreur, de son envie de grandeur, et il se contrôle plus encore. Une erreur qui l’a amené dans l’étau sévère de Mebura Chuo. Le loup est désormais son compagnon, incapable de vivre avec les siens de par sa différence, il semble tel un loup domestique. Lyes porte la responsabilité de l'avoir ainsi crée et depuis tout jeune, ne souhaite sans séparer. Le loup lui rappelle la limite de son pouvoir, celle qu'il ne doit pas franchir.

S’il possède ce désir constant de se laisser aller à ses instincts animaliers, Lyes a appris à garder sa part humaine. Il s’entraîne chaque jour, autant son corps que son esprit pour mettre des prises lourdes sur cet alter aux rêves aussi doux que terribles. Chaque jour son corps se parcourt de bleus à force de s’entraîner et de se dépenser, et chaque nuit son esprit se fatigue pour vagabonder dans celui animal. Car s'il entraîne son alter durant les cours, Lyes joue dangereusement en s'entraînant seul la nuit, dans le secret le plus total. L’envie de s’y laisser aller est de plus en plus forte, juste de s’oublier. Mais Lyes ronge son frein, car c’est ce que Mebura Chuo lui a appris. Et on ne déçoit pas une telle ancêtre...

Le fait de s'entraîner chaque jour et d'avoir une hygiène de vie aussi stricte que la sienne lui a permis d'obtenir une place chez les meilleurs à Yuei. Il est doué, et ce n'est pas par la magie du hasard. Lyes a travaillé et étudié son alter longtemps et le fait toujours, autant qu'il travaille son corps. Être en alternant à Tsukeru depuis une année désormais lui a offert l'opportunité de montrer sa valeur. S'il n'a jamais arrêté de hauts criminels, Lyes a su offrir un soutien non négligeable à des arrestations de voleurs ou à mettre fin à des traffics de drogue. Son alter servant fort bien à la collection d'informations autant qu'à la traque, il a su montrer son utilité.

La journée de Lyes commence toujours tôt, excepté pour le dimanche. Il se lève à 5h et sort silencieusement de la chambre de sa résidence étudiante pour faire ses exercices de musculation et un jogging matinal. Il revient ensuite pour se doucher et manger un petit-déjeuner qu’il a lui-même préparé, rempli de protéines et de vitamines. Etant un fin cuisinier grâce aux connaissances de son paternel, il lui arrive parfois de préparer les repas pour ses voisins de chambres. Ceci fait, Lyes étudie une heure avant de partir pour Yuei.

Il en vient ensuite les cours qu’il suit avec un certain zèle, alternant les conversations amicales durant les pauses à la lecture d’un livre sur les arts martiaux. Il mange souvent une boîte bento qu’il a lui-même confectionné et il s’ensuit les entraînements en situation propres à la filière héroïque.

Les cours finis, Lyes va ensuite s’entraîner au karaté, au kendo, au tir à l’arc et à l’escrime dépendant du jour de la semaine. Faisant parti de plusieurs clubs de sport, il n’est pas rare de le voir donner toute son énergie pour perfectionner ses capacités autant physiques que psychiques. Il lui arrive même de s’essayer à des sports nouveaux lorsqu’il en trouve le temps et de suivre des cours particuliers avec Saito Rena pour revoir le contrôle de son alter. L’alter de cette dernière étant proche du sien, Lyes lui en avait fait la demande et ne rate depuis aucun de ses cours ou de ses conseils avisés. Deux soirs par semaine, Lyes travaille dans un restaurant gourmet du quartier de Shibuya en tant que cuisinier pour se faire un peu d'argent et par plaisir de se vider la tête en étant devant les fourneaux.

De retour dans sa résidence étudiante, Lyes se prépare de nouveau un repas sain et étudie jusqu’aux environs de 23h puis va se coucher. Mais de là vient la partie immergée de l’iceberg. Car si son corps se repose dans son lit, il arrive parfois à Lyes de s’en extirper pour trouver un hôte animal et vagabonder, participer à la vie nocturne dans le peu de nature entourant Yuei. Un jeu dangereux mais de part la nature de son alter, incapable d'être dévoilé aux autorités.

Sa journée peut paraître fatigante, mais il faut savoir que le jeune adulte possède un gain d’énergie terrible similaire aux enfants suractifs. Il doit dépenser son énergie et toute cette adrénaline que son alter lui apporte.

Les week-ends dérogent à la règle. Son samedi est porté sur la tradition familiale, car Lyes se rend chez Mebura Chuo pour passer la journée à ses côtés. Il lui fait un compte-rendu de la semaine, de ses cours, de ses succès comme de ses défaites. Sa grand-mère a un œil sur la vie de l’adulte, devenue sa tutrice par défaut avec sa mère restée à Shikoku. Mais Lyes ne passe pas un mauvais moment à ses côtés, car ils boivent le thé, parlent, s’entraînent et il prend plaisir à lui cuisiner un curry japonais chaque midi. Son samedi soir étant libre, Lyes devient un adolescent de son âge, sortant, voyant ses amis autant que son dimanche est passé à dormir ou à aller faire des randonnées le plus souvent possible.