Alvarus Lagus [ AV /T - NF]

« - Miroir, miroir en bois d'ébène, dis-moi que je suis le plus beau. Et, invariablement, le miroir répondait :
- En cherchant à la ronde, dans tout le vaste monde, on ne trouve pas plus beau que nous. »

Chevelure angélique couplée à une ossature de barbare nordique, l'homme d'une trentaine d'années mélange spectacle et déroute. Forgé par les hommes, poli par les dieux, son joli minois n'a de cesse d'émouvoir. L'expression nonchalante de son visage sait assombrir les jours les plus beaux, et à l'instar d'une éclipse, il brille de mille-feux à travers cet aspect totalement ombrageux. D'un mouvement de tête, il fait danser ses deux boucles d'oreilles en argent, usées par les combats et par l'oxydation du sang. Le vent dans les mèches, chacune d'elles ondulent à l'unisson. Ces dernières s'apparentent à des tiges de roseaux succombant aux bouffées d'air d'une tempête éphémère.

Il ne bronche pas, droit comme un poteau, il fait face à une seconde brise ; sa stature, écrasante et impériale, ne souhaite pas faire dans la dentelle. Il résiste, dévoilant un long cou qui rendrait jaloux le plus féroce des taureaux. Son corps, longiligne, n'est autre que l'égal d'un coupe-vent naturel ; il fend l'air comme s'il coupait du beurre. Ses vêtements, quant à eux, s'accrochent à chaque muscle, à chaque os. Ils épousent le tissu musculaire à la limite de l'overdose. Il n'y a que la veste, repassée, qui s'agite comme un drapeau en berne.

D'une traite, il desserre sa cravate et fait volte-face à la rafale de vent. Des courants aériens l'enlacent à nouveau d'une douce frivolité, c'est le moment pour lui de partir. Il emboîte donc le pas, exerçant des foulées assurées et pleines d'ambition.

D'ambition, oui. Car si sa procrastination pourrait être l'égal d'un incendie inextinguible, son ambition ressemblerait plutôt à un tsunami de volonté. Deux éléments qui se vouent une guerre sans fin, au plus profond de son être. Ce ne sont en revanche que de petites rivières face aux profondes abysses qui hantent les nuits de l'Apollon. Solitaire, il vit seul, pour lui. Une solitude exacerbée par son désir d'être sans attaches. Une souffrance qu'il s'impose pour le bien de ses proches, au détriment de sa santé mentale. Martyr de l'Alter, il ne passe pas une lune sans maudire son propre reflet. Lui vouant une haine sans égale, l'accusant de tout ses maux ; dans ses moments les plus sombres, il en vient même à vivre dans la pénombre.  

Heureusement que la lumière du voisinage le ramène souvent à la raison, les feux bicolores des forces de l'ordre lui servent très souvent de corde de sortie. Lorsque les secondes commencent à se figer, il se hisse alors vers l'extérieur, à la recherche de malfaiteurs. Et ce n'est qu'à ce moment-là que l'horloge se remet de nouveau en route, lorsqu'il décide de passer inévitablement à l'action.

L'enfance d'Alvarus est bercée par la normalité du monde. Accroché au cocon familial comme une araignée à sa toile, il se terre très souvent dans les jupons de sa mère ; une belle et grande femme, au caractère aussi doux que l'effluve d'une pétale de rose. Cette dernière occupe le parlement norvégien, usant de son timbre de voix pour faire tomber les haches. Détentrice d'un Alter riche de plusieurs générations, elle sait l'enfouir en elle chaque jour de débats à l'hémicycle. Reniant son héritage familial, elle se bat contre ces détenteurs de pouvoirs qui provoquent le chaos partout où ils passent. Héros, vilain, même panier. Il faut dire que le petit Alvar, curieux, ne cesse de surprendre sa mère s'auto-flageller lorsqu'elle pense être enfermée dans sa tour d'ivoire. Il ne comprend pas, du haut de ses quelques dizaines de centimètres.

Ce n'est qu'à sa quatrième année qu'il découvre le pot-aux-roses. Qu'il découvre son jumeau maléfique au travers d'une flaque d'eau sur le retour du chemin de l'école. Main dans la main de son unique amour, ancré sur le bitume, la mère constate à son tour l'apparition de l'Alter. Des larmes d'effroi se mêlent alors à la pluie soudaine, effacant toutes traces de cette malédiction. Le lendemain, Alvarus est expédié chez son paternel, sans explications rationnelles pour un mioche au coeur fendu ; fissuré par la peur inconditionnelle de sa mère.

Il y trouvera les séquelles d'un divorce tumultueux, il y trouvera refuge dans les bras de son père. Un homme ô combien ouvert sur le monde, acceptant des miséreux et des prostituées dans sa demeure pleine de bonté. C'est dans cet environnement sain et à la limite du malsain qu'Alvar développe ses compétences intellectuelles. Celles d'un petit garçon lambda à qui l'école réussit. En cause, il est sans cesse saturé du savoir des entitées passagères, tantôt un ancien charpentier, tantôt un militaire estropié. Il se prend aussi d'affection pour son frère, un orphelin difforme qui se nomme Paco.

Il faut savoir que l'adolescence n'a pas épargné les liens de la fratrie. Crises de jalousie, bagarres à répétition, ce sont des artifices d'hormones qui explosent chaque jour. Leurs liens font balance entre l'amitié et la rivalité, ne sachant pas encore où le poids du destin viendra s'ajouter. Ce n'est qu'un jour de pleine lune que le conflit vient brusquemment se fracasser dans la relation. Un soir où Paco ne se sent pas à sa place, un soir où Alvar tente de lui montrer les fondations de leur foyer. Une tentative vaine, car au lieu de le raisonner, Alvarus lui montre inconsciemment le reflet du difforme à travers son image. Une peinture qui ne plaît pas à l'orphelin, qui dans un excès de rage, détruit méchamment son mirage, son frère.

Quelques mois après la réanimation et la rééducation, Alvarus sort de la tombe prêt à en découdre avec la vie. Il s'enferme progressivement dans une chape de plomb et n'y laisse passer aucun cri de douleur. Il part au Japon sur une décision mûrement réfléchie, assénant un coup de couperet à ses relations et à ses racines. Il décide pour les autres, et pense assurément, que tout son vécu n'est qu'une énième route vers la destruction.

Le voyage vers le pays du soleil levant n'est pas de tout repos, surtout depuis l'union européenne. En preuve, les autorités japonaises contrôlent le flux massif d'immigrés et restent ainsi hermétiques aux étrangers. C'est dans ces conditions qu'Alvarus décide de partir, dans l'optique de ne pas être rattrapé par ses démons ; les processus administratifs sont tellement lents et avec un faible taux de réussite que n'importe quelle personne en règle aurait du mal à atteindre le Japon. Un paradis pour le blondinet, qui usera et abusera de son Alter pour monter discrètement à bord d'un avion en partance pour Tokyo. Le tout, en pleine illégalité.

Il y arrive avec un esprit de conquête mais avec les mots d'un muet. Ne connaissant pas les subtilités de la langue japonaise, il décide d'improviser avec un langage des signes plus qu'approximatif pour pouvoir vivre les premières semaines. Discret, il vit en fugitif, esquivant les contrôles policiers et les citoyens. Cette vie l'éloigne de la ville et l'emmène dans les belles campagnes du Japon. Passant pour un ermite à qui les lèvres ont été cousues par un acte divin, il passe de villages en villages à la recherche de savoir et d'abri. Ce n'est qu'une année après qu'il rencontre un vieil homme, polyglotte et professeur, Daiju. Ce dernier lui offre l'hospice, l'apprentissage de la langue et plus tard, une place à l'académie de Yuei lorsqu'il découvrira son Alter. Un évènement qui marquera le professeur, car c'est lors de sa propre agression qu'Alvar utilisera illégalement son double afin d'éviter une tentative de vol.

Il fini par apprendre la mort de Paco lors de son entrée fortuite à l'académie de Yuei, refoulant encore plus son Alter, qui a été fautif et déterminant dans la détérioration de sa relation avec son jeune frère. Au niveau de sa scolarité, lui qui brillait tant, décline pour embrasser l'ombre des nouveaux talents. Une partie sombre se déchire au fond de lui, il se sent seul. Il n'a plus de nouvelles de sa génitrice, il n'a même plus d'idées sur le sujet. Quant à son père, chaque pensée lui noue la gorge. Il avale à chaque fois, creusant dans son estomac pour y placer ses angoisses et ses peurs.

De nombreuses années plus tard, Alvarus est devenu un héros hors-pairs, agissant sans réelle cause. Sa solitude est devenue une forteresse inexpugnable, empêchant quiconque de dépendre de lui. Dans ses rêves, il retrouve Paco et tout ce beau monde tandis que dans ses cauchemars, il retrouve le double méprisant qu'il aime tant détester. Il souhaite plus que tout la confrontation avec sa mère suite à son abandon, à son Alter et à cet héritage encore inconnu. Des questions sans réponses qui lui tordent l'esprit, qui le mettent à genoux face à un monde qui n'attend que lui.

Alvar n'a pas grande estime de son Alter, s'il pouvait lui asséner un violent coup de poignard, il le ferait sans hésiter. Concernant les autres Alters auxquels il a du être confronté, il n'a aucun avis tangible. Il considère les non-Alters comme ses égaux, il sait seulement qu'il est doté d'un petit plus que beaucoup de personnes possèdent. Quant aux lois qui régissent sur les détenteurs d'Alters, Alvar essaie tant bien que mal de les respecter : même s'il est capable de franchir la ligne, il ne le fera qu'en ultime recours.

En tant que héros, Alvar est sans cesse au contact du crime. Comme un molosse en laisse, il attend toujours l'appel des forces de l'ordre afin d'intervenir sur des missions de prise d'otages. Depuis des années, il est en étroite collaboration avec la division d'assaut du Japon, il entretient des liens cordiaux et mène à bien des situations jugées périlleuses. Il y apprend des tactiques d'assaut et de négociation, dans l'espoir de recevoir un jour plus de responsabilités.

Alvar doit sa licence à l'Académie de Yuei, plus particulièrement à l'un de ses anciens professeurs qui s'est pris d'affection pour l'histoire du blondinet ; il s'appelait Daiju et enseignait l'art héroïque du sauvetage. Encore aujourd'hui, ce vieil homme accueille à bras ouverts les doutes qui hantent le héros norvégien.