PROLOGUE
L'Eveil de l'AlterJe suis née au sein d’une famille extrêmement croyante, qui rejetait toute forme d’Alter, considérant ces derniers comme le cadeau du Diable pour ses « fidèles impies ». Si par malheur un enfant développé un Alter dans cette communauté croyante fermée, ce dernier se voyait bridé, contrôlé et surveillé. Si jamais l’Alter était incontrôlable ou trop dangereux, alors il était tout simplement abandonné – le meurtre étant, fort heureusement, un crime inacceptable même à l’égard des enfants du « Diable ». Pour ma part, j’ai eu un traitement bien plus expéditif : l’abandon.
Je n’oublierai jamais, ô grand jamais, ce maudit jour où mon Alter s’est révélé. On dit qu’il est impossible de se souvenir de ses quatre ans. Cette affirmation se vérifie pour des souvenirs banals et sans importance, mais est complètement erronée pour des souvenirs forts qui changent radicalement votre existence. « Oublier » est un cadeau que la mémoire se refusait de vous offrir – ou de s’offrir, plutôt.
Premier jour à l’école, j’étais surexcitée comme une petite puce. Habillée de ma plus belle tenue – confectionnée par ma mère même -, je m’apprêtais à pavaner, et à me faire des amis. SI certains pleuraient à la perspective de quitter leur cocon familial Temporairement ou avoir à subir l’école pour les dix-huit ans à venir, je n’étais nullement inquiète. Je savais que ma famille m’attendait dans notre petite maison. A bien réfléchir, j’étais déjà bien lucide et intelligente pour mon âge.
Sauf que je n’étais pas la plus belle. Il y avait cette fille d’un père plutôt riche et d’une mère étrangère. Sa longue chevelure noire brillante, sa peau blanche et lumineuse et ses sublimes vêtements avaient éclipsé toutes les autres filles de la classe. J’avoue l’avoir observé longuement, très longuement, et d’y avoir encore pensé durant tout le chemin de retour à la maison. Je décrivais encore et encore, inlassablement, cette petite fille à ma famille. Cependant, je me butais à cette barrière de la langue – mon vocabulaire n’était guère développé à quatre ans. Et pourtant, je « voulais » leur montrer cette petite fille, tant et tellement … Que je finis par devenir elle.
La suite ne peut être résumée qu’à un seul mot : « enfer ».
«
Enfant du Diable, qui es-tu ? ». Soudainement, je n’étais plus la chair de leur chair, ni le sang de leur sang. Je n’étais qu’une usurpatrice d’identité au service du Malin.
«
Enfant du Diable, à qui appartient ce visage ? ». Ma famille ne comprenait pas que ce visage que j’avais arboré jusqu’à mes quatre ans était le « mien », et « unique ». Je pense qu’un visage lisse, sans expression, sans yeux, sans bouche, aurait été bien plus réconfortant pour eux…
Inconsciemment, j’ai fini par me comparer à cette jolie petite fille.
Sa famille l’adorait et venait la chercher tous les soirs pour rentrer à la maison, et se réunir autour d’un bon repas chaud. Mes parents venaient bien me chercher, mais pour me traîner à l’Eglise, auprès de quelques religieux qui devaient attester si j’étais une enfant du Malin ou non, si je pouvais être « exorciser » ou non, ou si je pouvais ne plus avoir « d’Alter ».
Chaque soir, elle dormait paisiblement, perdue dans quelques doux rêves. Chaque soir, j’avais le sommeil agité, hanté par des milliers de cauchemars religieux.
Elle devenait belle de jour en jour, je m’affaiblissais pour ma part.
Et puis, un jour, la roue du Destin avait tourné. En « ma » faveur. Une opportunité mortelle, mais que j’avais saisi sans la moindre once de remord.
Arii ColetteLa petite fille était rarement seule, toujours entourée de ses camarades de classe ou dorlotée par ses parents. Pourtant, un beau jour, elle était seule au parc, après l’école. Par un heureux concours de circonstance, je l’étais aussi. Alors, prenant mon courage à deux mains, je me suis approchée d’elle pour lui parler. Pour être son « amie », aussi. Pour être appréciée, aussi. Pour être acceptée, enfin. Sans surprise, elle était gentille et, sans surprise, j’étais jalouse par de si beaux sentiments dans un si joli petit corps. Elle semblait tellement parfaite.
Pendant que nous jouions, nous vîmes à peine les deux hommes approcher. Ils prétendaient venir pour la jolie petite poupée, envoyés par le père qui était très occupé au travail. Naïve poupée, elle crut et les suivit. Je fis de même aussi, car on me proposait de me déposer – ou plutôt, on m’y poussait. Le temps que je comprenne que mes « non » ne servaient à rien, j’étais dans cette voiture. LEs premières minutes furent bien silencieuses, puis soudainement l’inquiétude gagna mon « amie ».
«
Ce n’est pas la route pour la maison », disait-elle. «
C’est un petit détour. Il faut faire des courses pour ta maman » répondirent-ils.
«
On s’éloigne de la ville » indiquait-elle. «
Papa a du s’absenter un peu de la ville aujourd’hui, on s’y dirige » mentirent-ils.
Personnellement, je ne m’inquiétais pas. Ces deux personnes curieuses ne m’inquiétaient pas plus que les prêtres que mes parents me faisaient voir. A vrai dire, ils étaient même plutôt drôles avec leur prétendu air méchant. Pourtant, l’agacement me gagnait au fur et à mesure des sanglots, des plaintes, des jérémiades et des pleurs de mon « amie ». Et finalement, c’était la colère qui en sortit vainqueur, lorsque la main d’un adulte s’abattit sur la joue de la petite fille. Je vis rouge, très, très rouge… et je m’imaginais comme un des prêtres terrifiants que j’ai rencontré. Grand, gros, sévère et grognon. L’effet est immédiat.
La surprise et la peur prennent contrôle de ces deux adultes, et la voiture sort de la route. On tombe, de très longue minute. Et c’est le noir. Lorsque j’ouvre les yeux, je suis témoin d’une curieuse scène. Mon amie au visage écarlate et les yeux ouverts, et les deux adultes avec des branches qui traversent leur corps – ou plutôt estomac – et la bouche tordue par la douleur. Je sens une étrange odeur de brûlé, et je m’empresse de sortir. Quelques pas, et c’est une explosion qui retentit. Quelques heures plus tard, c’est une ambulance et la police qui interviennent.
Moi, je suis cachée. J’observe. Je vois mes parents arriver, je les entends susurrer « l’enfant du Diable appartient aux flammes ». Je crois voir un semblant de réconfort dans leur regard. Je sens la haine poindre. Et puis, je vois les parents de la petite fille, inquiets et en pleurs. Et ma haine est soudainement totale, entière, pleine. Une haine qui me souffle une curieuse idée.
Je sors de ma cachette.
-
Colette ! Colette ! Oh mon dieu ! Oh mon dieu ! Tu es vivante ! Mon enfant ! Ma chérie ! Les parents de la petite fille étaient heureux de retrouver leur petite poupée.
Mes parents étaient heureux de savoir que leur enfant du Malin reposait en paix.
A partir d’aujourd’hui, je n’étais plus l’enfant du Malin, mais la petite poupée.
J’ai sa voix. J’ai son apparence. Que faut-il de plus ?
Oui, j'étais sortie de ma cachette avec l'apparence de la petite poupée, pour être aimée. Pour être désirée. Pour être appréciée. Pour être acceptée.
ET tout finit bien pour l'Enfant du Malin, et tout commence bien pour la Petite Poupée.
LA TOILE
Leçon numéro 1 – On ne mue pas sans y laisser sa peauIl ne suffit pas d’avoir l’apparence d’une personne, ou encore imiter sa voix pour « être » cette personne. Chaque détail compte : les regards, les sourires, les intonations de la voix, les gestes et même le mode de pensées qui façonnent ce que nous sommes, ou ce que nous allons faire. La petite poupée était une enfant joyeuse et très intelligente, alors je me devais de l’être. Je travaillais sans relâche pour être la meilleure, je me donnais au maximum physiquement, j’apportais mon aide dans chaque action citoyenne et je souriais encore et encore – des heures devant le miroir, puis des heures face aux gens. En l’espace de quelques années, j’étais devenue cette élève populaire : belle, sportive, intelligente et la main sur le cœur, connue dans son lycée comme dans son quartier. Ma prétendue « absence d’Alter » était à peine un problème pour mon entourage.
Leçon numéro 2 – Les différences nous rendent plus fortsPendant des années, jusqu’à mon entrée à l’université, je n’ai pas cessé de rechercher l’amour parental. Tous mes choix s’étaient orientés pour être à la hauteur de leur attente, pour les aider…
Père était chef d’un cabinet de droit. Je voulais être avocate, pour pouvoir travailler avec lui et l’aider. Mère aimait les choses luxueuses et rares. Je voulais être riche, pour pouvoir tout lui offrir. Je voulais qu’ils m’aiment davantage, non pas cette petite fille morte, mais « moi », celle qui va les aider, les combler de bonheur, les accompagne…
Sauf qu’une petite poupée n’était pas taillée pour le monde des adultes. L’Enfant du Malin qui sommeille toujours en moi, qui n’est jamais véritablement morte est toujours là, toujours à me susurrer « qui je suis ? A quoi est-ce que je ressemble vraiment aujourd’hui ? Regardes le miroir, mets-toi à nue ». Une enfant revêche, qui n’a pas peur et qui n’a pas froid aux yeux. Enfant que j’ai rejeté longtemps, mais que j’accepte enfin d’accueillir en mon sein.
Certaines personnes pensent que l’unicité est la plus belle chose – une culture, une langue, une pensée – mais c’est bien faux. C’est la différence qui nous rend fort, celle qui nous oblige à voir le monde de différentes façons. La Poupée voyait le Bon, le Malin voyait le Mal. A mes vingt-cinq ans, je ne me cachais plus du subterfuge affreux auquel je m’étais livrée. Je l’embrassais, et l’assumais pleinement, et j’embrassais tant l’illusion que la réalité de mes deux personnalités.
Leçon numéro 3 – La fin justifie les moyensLes lois sont faites pour asservir les faibles d’esprit, et hisser au Mont Olympe ceux qui savent les détourner habilement – attention, je ne dis pas aller à l’encontre de la loi. Jouer selon les règles établies par ces conquérants signifiaient s’assujettir à leur domination – souvent masculine – et à se cantonner à une existence insipide et austère. Or, je ne pouvais pas me permettre une telle chose. J’ai promis d’agrandir le cabinet de père, de combler de bonheur matériel mère ou encore d’être encore et toujours parmi les meilleurs. Car la place d’une Poupée ne peut qu’être à la lumière, et ne peut vivre qu’en suscitant admiration. Une chose possible, car le Malin saura faire son chemin.
Mon ambition sans limite, ma ruse innée et enfin mon Alter caché qui me permettait d’être qui je souhaitais m’avaient permis de gravir les échelons à une vitesse foudroyante. J’ai accepté les dossiers mal payés, mais désespérés, dans l’unique but de briller auprès de mes pairs et me forger une réputation solide – celle qui résout « tout ». Des efforts et des nuits blanches qui ont payé par une clientèle toujours plus sélective, toujours plus sélective, toujours plus élitiste. Jusqu’à décrocher le gros lot : Homura Kin.
Leçon numéro 4 – ne jamais trahir le SyndicatDois-je développer ? Je ne suis pas une femme à la loyauté infaillible, ni même une femme de parole, mais je suis loin d’être inconsciente. Homura Kin – alias le Syndicat – m’offrait bien des avantages – comme des criminels fréquemment derrière les barreaux qui ont besoin de ma baguette magique légale pour en sortir, et donc un revenu considérable et régulier – mais pas sans risque – entre les autorités légales, ou encore ceux qui veulent tout simplement faire tomber l’organisation. D’un commun accord avec l’actuel chef – bien plus mesuré, et brillant que l’ancien, qui n’était qu’un tonneau de bière inconscient –, je me mêle le moins possible, préférant semer terreur et zizanie dans les cours juridiques que sur le terrain sous un stupide pseudonyme de « super vilaine ». Aux yeux de tous, je n’ai pas d’Alter et pourtant, mon nom fait trembler les plus grands politiciens ou juristes des parages – ayant un dossier sur presque chacun. Et ça, c’est la classe !
Leçon numéro 5 – Tisser sa toileRevenons à cette affaire de dossier … une règle en or existe dans ce monde de prédateurs : le réseau. Un réseau avec des partenariats volontaires – mon arrangement avec Homura Kin, par exemple – ou encore avec des partenariats « forcés ». Ces derniers prennent diverses formes : chantage, pot-de-vin… Difficile que je ne connaisse pas les travers de quelqu’un d’un tantinet puissant, et qu’il ne soit pas déjà sous ma botte. Car voyez-vous, je tisse ma toile, patiemment et avec soin et « amour ». Car, et voilà une chose à laquelle j’adhère avec ces supers héros « mignons » et « naïfs » : l’union fait la force. Union volontaire, bon gré ou contre gré, ce n’est là qu’un petit détail sans importance. Tant que le réseau est là, tant que les fils résonnent bien entre eux, tout ne peut qu’aller pour le meilleur des mondes.