[AV-T - SW] L'Aurore venant d'Europe - Aurore Clifford

Aurore ne jeta pas un quelconque regard aux éléments qu’elle mettait dans l’enveloppe. Le tri avait déjà été fait par sa mère, et, étant elle-même naturellement indécise, elle ne voulait pas risquer un éventuel retard provoqué par le choix difficile de simples photographies.

Ces dernières présentaient la jeune femme sous l’image d’une élève studieuse, généralement concentrée et appliquée. Ses oreilles pointues, mutation liée à son Alter, étaient la première chose qui attirait le regard, bien que cette partie de son anatomie soit souvent en grande partie cachée par les longs cheveux aux couleurs dorées d’Aurore. Ces derniers encadraient un visage fin, orné de lèvres délicates, d’un nez subtil et élégant, ainsi que de profonds yeux bleus. D’une taille moyenne pour son âge, environ un mètre soixante-dix, la jeune apprentie ne se démarquait pas physiquement de ses autres camarades de classes. Sa fine musculature témoignait toutefois d’un entretien sportif régulier et rigoureux, issue d’une résolution de la jeune femme visant à ne pas être trop en retard sur ses camarades aux alters davantage portés sur le physique.

Quelques enregistrements vidéo étaient également parvenus par le biais d’une clé USB glissée dans l’enveloppe, probablement du fait de la mère de la jeune femme, et sans doute sans son accord préalable. Il s’agissait pour beaucoup d’enregistrements à la qualité parfois médiocre, mais qui permettaient de découvrir Aurore dans une optique plus réelle, celle de sa vie de tous les jours. Il était ainsi possible d’y voir quelques éléments qui n’apparaissaient pas sur les photos, comme le tic qu’avait la jeune femme de toujours recoiffer ses cheveux derrières ses oreilles lorsqu’elle était nerveuse, ou encore de découvrir la voix douce et le rire cristallin de l’apprentie héroïne quand elle était entourée de ses amis. Bien qu’une légère timidité eût tendance à rosir ses joues au moindre prétexte ou compliment, Aurore paraissait avenante, souriante, et surtout d’une gaieté presque naïve.

Après avoir soigneusement rangé tous ces éléments dans l’enveloppe destinée à Yuei, Aurore s’attaqua aux résultats du test de personnalité qu’elle avait passé récemment, ainsi qu’aux appréciations de ses professeurs actuels. La jeune femme poussa un léger soupir en voyant la liasse de papiers à laquelle elle n’avait pas vraiment le courage de jeter un œil. Dans tous les cas, elle ne souhaitait pas vraiment savoir ce que le test ou ses professeurs pensaient réellement d’elle. La jeune femme se cherchait et évoluait chaque jour qu’elle passait à apprendre au sein de son établissement, et elle doutait réellement que de tels tests puissent s'avérer très pertinents.


[  Myers Briggs Type Indicator (MBTI)
  Results for : Aurore Clifford
  Type : INFJ-t



Résumé de l’évaluation : Le sujet présente un type de personnalité particulièrement rare, surtout à un si jeune âge. Elle possède un sens inné de la morale sans pour autant être une rêveuse inactive. Au contraire, l’examinée semble capable de prendre des mesures concrètes pour réaliser ses objectifs et laisser un impact durablement positif sur le monde qui l’entoure.

Comme pour les autres individus présentant ce type de personnalité, le sujet semble davantage promis à devenir une héroïne spécialisée dans le sauvetage, bien qu’elle ait également affiché une volonté plus profonde. L’examinée semble réellemnt vouloir se rendre au cœur des problèmes afin que les victimes restent simplement hypothétiques.

Malgré son calme et son introversion, le sujet possède des idées très affirmées et s'est montrée capable de se battre sans relâche pour défendre ses idéaux. L’examinée à tendance à agir avec créativité, imagination, conviction et sensibilité, non pas pour prendre l’avantage mais pour instaurer une forme d'équilibre. L’apprentie a donc développé de fortes capacités empathiques, et privilégie la compassion au combat pour régler les problèmes auxquels elle est confrontée.

Lorsqu’elle est en confiance, l’examinée est capable d’utiliser une langue chaleureuse et sensible pour parler en termes humains, plutôt qu’en termes logiques et factuels. Cependant, s’il est possible d’un point de vue novice et extérieur de la considérer comme extravertie, il n’est pas à oublier qu’elle semble avoir un besoin important de se retrouver seule pour décompresser et récupérer. Il ne faut donc pas s’alarmer si le sujet choisit parfois subitement de s’isoler. Le trait de personnalité INFJ-t est très sensible aux sentiments des autres, et les individus possédant ce trait s’attendent instinctivement à ce qu’on leur retourne cette faveur. Cela signifie qu’il faut parfois les laisser respirer quelques jours, car c’est un besoin quasi-vital pour eux.

Néanmoins, et ce malgré sa volonté de prendre soin des autres, il est vraiment extrêmement important que l’examinée se souvienne de prendre soin d’elle-même. La passion de ses convictions est tout à fait capable de lui faire dépasser son point de rupture et, si son zèle échappe à son contrôle, sa santé et son alter peuvent peuvent s’en retrouver grandement affectés (Perte de contrôle, épuisement mental et physique dans les cas les plus bénins). Les périodes de crise représentent pour le sujet un risque plus élevé car sa sensibilité la forcera surement à faire tout ce qu’elle peut pour aider ses semblables, malheureusement au dépit de sa santé.

  Dominante : Tertiaire, ou pensée introvertie.

Le sujet est à la recherche constante d’une certaine forme de précision, ce qui la rend capable de discriminer les différences entre les définitions des essences même des choses, et possède de grandes capacités d’analyses qui lui permettent de classifier efficacement ces informations. En d’autres termes moins savants, sa créativité lui permet d’analyser un problème sous toutes ses formes afin de trouver la solution la plus économe et la plus efficace. Cette créativité permet au sujet de créer des modèles de pensées qui pallient à l’inconsistance des raisonnements logiques dans certaines situations.

En résumé, l’examinée possède un profil particulièrement utile au sein de ses camarades et dans un groupe en général, même s’il ne faut pas oublier que l’exercice social peut parfois devenir une source de fatigue non négligeable pour elle.

  Avis définitif : Favorable avec réserve* pour le transfert à Yuei.



Derrière le lourd rapport officiel du test de personnalité passé par la jeune femme se trouvait un document plus léger, aux tons moins scientifiques et solennel. Des appréciations des divers professeurs de la jeune femme mais aussi, chose que l’apprentie n’avait pas eu le temps de voir, quelques remarques de ses divers camarades sous formes de petites vidéos dissimulées dans la clé USB.


[  Appréciations et notations : Aurore Clifford.

Mathématique : B
Si le raisonnement et la logique mathématique ne semblent pas réellement la spécialité d’Aurore, elle n’a cessé de s’améliorer et de faire des efforts ces derniers mois pour rester au niveau. Je désespère cependant d’arriver un jour à la passionner pour cette matière, mais Aurore a largement les qualités nécessaires pour palier à cette légère faiblesse.


Langue : A+
Aurore a démontré à de nombreuses reprises son assiduité et ses capacités à comprendre les racines des mots des diverses langues proposées par le cursus. Son Japonais est excellent, tout comme son anglais, son français et son espagnol. Je n’ai aucun doute quant à sa capacité à s’adapter à son nouvel environnement.


Sciences générales : A
Malgré quelques lacunes, Aurore démontre une profonde connaissance des choses et des matières, grandement facilitée par son Alter. Attention toutefois aux rêveries en classe, car elle a parfois tendance à être un peu tête en l’air.

Histoire-géographie : B+
Bien que dotée d'un côté rêveur, Aurore s’est montrée particulièrement intéressée en classe ces derniers mois. Elle nous a même gratifié d’un superbe exposé sur l’évolution de la relation entre les super-héros et les gouvernements durant ces dernières années. En nette progression, donc !

Art : A
*Ecriture absolument illisible terminée par une sorte de tampon mentionnant le nom du professeur : Royal Shaker.*

Entrainement physique : A
Une élève assidue qui prend même le temps de s’entrainer même en dehors des cours. Si son alter ne lui permet pas réellement d’afficher les meilleures performances de la classe, la détermination d’Aurore vaux largement une moyenne plus qu’honorable.


Sauvetage : A+
Incontestablement la plus grande spécialité d’Aurore, qui tient visiblement beaucoup de sa mère. Aurore est capable d’analyser efficacement les situations pour intervenir en sécurité tout en se montrant particulièrement rassurante avec les « victimes ». Une excellence familiale.


Intervention Criminalité : C
Aurore a encore beaucoup de mal à s’attaquer directement à quelqu’un d’autre. Si elle utilisait intelligemment ses pouvoirs, elle pourrait pourtant maitriser n’importe qui sans se blesser. Un blocage à dépasser rapidement malgré quelques efforts.


Traque et enquête : B+
Un mode de pensée qui manque parfois de logique lorsqu’elle se retrouve seule, mais de très bonnes idées lors des traques et des enquêtes de groupe qui permettent souvent à tout le monde de sortir de l’impasse.


Coopération : A+
Aurore a démontré un talent inné pour le travail en équipe. Elle se pose souvent en réelle médiatrice, ce qui est sans doute la raison pour laquelle elle a été élue déléguée. Elle est cependant loin d’écraser les autres, et son fil de pensée plus créatif que la moyenne lui permet d’apporter une touche d’inattendu au sein du groupe.


Morale et éthique : A+
Sans doute l’élève la plus à l’écoute, et la plus compréhensive sur le sujet. Rien à redire, continuer comme ça.

Technologie : A+
Un Alter parfaitement exploité, avec une affinité particulière au niveau des circuits électriques et des données connectées. Aurore vient régulièrement en aide à ses camarades plus en retard sur le sujet, ce qui fait d’elle un élément moteur pour la classe.


Un visage souriant apparait à l’écran, et, après quelques secondes consacrées à réajuster la caméra, le jeune homme se met à parler.

« Hum… Alors, je ne sais pas trop comment commencer… Au début de l’année, je pensais qu’Aurore Clifford était l’une de ses filles de super-héros célèbres, totalement inaccessible et arrogante mais… Avec le temps, j'ai découvert que c’était presque tout l’inverse. »

Le sourire du jeune homme s’agrandit, une lueur amusée dans le regard.

« Le premier jour… alors qu’on faisait un peu tous connaissance, et qu’on vantait un peu nos capacités, elle est restée en retrait. Aucune remarque désobligeante alors que, il faut l’avouer, on avait un peu l’air ridicules par moment. On a prit ça pour de la timidité mais… En final, c’était pas vraiment ça non plus. Enfin, je vous dis ça, mais il nous a fallut un petit moment pour comprendre. Bref. Les premiers cours et les premières épreuves qu’on a traversées tous ensembles ont naturellement débloqué la situation, et elle est rapidement devenue indispensable au groupe. C’était pas la plus forte, ou la plus impressionnante mais elle avait ce… truc. Elle savait trouver les mots juste, elle s’adaptait à chacun de nous. Elle avait un côté un peu solaire… Même si je suis pas vraiment sûr que c’est très clair. »

Le sourire de l’individu disparut le temps d’un soupir, avant qu’il ne mette fin à son monologue.

«En tout cas… J’espère que vous prendrez soin d’elle, Yuei. Parce ce qui est sûr, c’est qu’ici, elle va nous manquer ! »

En contraste avec la première vidéo, c’est cette fois ci un visage féminin qui se présente face à la caméra. La jeune femme est souriante, et commence son discours.

« J’ai fait mes deux premières années de filière héroïque avec Aurore, et on est rapidement devenue amies. Enfin… Disons que c’est difficile de ne pas être amie avec elle. Elle est toujours souriante, positive, motivante, et elle prend naturellement soin des autres. Tout le temps. Si bien que, parfois, s’en est presque un défaut. Elle a tendance à s’oublier, et il fallait parfois qu’on soit trois ou quatre à la houspiller pour la convaincre de se reposer. En dehors de ça… C’est une amie… Enfin non, c’est une personne géniale ! Yuei a de la chance… »

La jeune femme s’interrompt quelques instants, les yeux légèrement brillants et humides.

« Elle va beaucoup me manquer… Mais je ne désespère pas lui rendre visite un jour, donc j’essaye de rester positive ! »


Les cinq vidéos restantes montraient des images et propos relativement similaires sur la jeune femme, bon nombre de ses camarades ayant décidé de mettre la main à la patte pour « renforcer » son dossier. Si leur geste ne s’avérait pas vraiment nécessaire, il était au moins un moyen pour eux de se libérer et de faire leurs adieux. Ils laissaient ainsi une trace de leur passage dans la vie d’Aurore et, qui sait, peut être trouverait-elle un jour un peu de réconfort dans les discours sincères de ses anciens camarades.

Quoiqu’il en fût, la jeune femme contemplait désormais son dossier définitivement achevé. Avec précaution, elle referma l’enveloppe qu’elle laissa sur son bureau, avant de bailler longuement. La nuit était déjà bien avancée, et la nervosité mêlée d’excitation qui l’avait maintenue en éveil jusqu’alors s’estompait peu à peu. L’apprentie héroïne se dirigea vers le grand lit à baldaquin siuté au fond de sa chambre et s’y laissa tomber comme une masse, sombrant rapidement dans un profond sommeil.

Aurore prit un instant pour réfléchir aux mots qu’elle allait employer. Elle savait qu’elle devait se montrer concise, et ne pas s’étendre en descriptions inutiles. Aller à l’essentiel, en somme.

« Et bien… J’ai grandit dans la campagne Londonienne, dans le Manoir familial. Ma mère est une super-héroïne, Healing Spirit, très connue en Europe ainsi qu’en France, et La famille de mon père fait partie de la noblesse Anglaise, donc j’ai grandi dans un milieu plus qu’aisé. » Commença la jeune femme, légèrement hésitante au début mais gagnant de l’aplomb au fur et à mesure de la discussion.

« Je… n’ai pas honte de l’héritage de ma famille, mais je ne suis pas non plus quelqu’un qui cherchera à le mettre en avant, si cela peut vous rassurer. Je ne demande aucun traitement de faveur par rapport à cette situation, je ne fais que… » Elle s’interrompit alors devant l’absence de réaction de son interlocuteur. Se traitant intérieurement de cruche, elle savait qu’elle venait de tomber dans le piège qu’elle s’était promise d’éviter. Elle ne finit donc pas sa phrase, gardant son sourire, avant d’embrayer sur la suite de son histoire.

« Toujours est-il que j’ai découvert mon alter assez de manière assez… Normale. Je ne m’en souviens pas beaucoup, pour tout vous dire, mais on me raconte souvent cette histoire. » Les lèvres d’Aurore s’étirèrent davantage, alors qu’une lueur timide et amusée s’allumait dans son regard. « A l’époque, on ne pouvait pas me laisser une seconde avec un objet électronique ou informatique, il cessait inévitablement de fonctionner. Je devais avoir… Trois ? Quatre ans ? Quelque chose comme ça. Il parait que je pleurais beaucoup quand ce genre de choses se produisaient, parce que je ne comprenais pas et que je voulais simplement regarder la télévision, ou jouer à des jeux vidéo comme les autres enfants de mon âge. »

La jeune femme s’interrompit alors une seconde pour reprendre son souffle et permettre à son interlocuteur de prendre ses notes. Elle en profita pour mettre de côté la légère nostalgie qui l’avait envahie à l’évocation de cette époque révolue. Le recruteur ne s’intéressait sans doute pas vraiment à ses sentiments, et il lui valait mieux continuer son histoire de la manière la plus claire et concise possible.

« J’ai peu après pu profiter de l’expérience d’un précepteur pour apprendre à contrôler mon alter. C’était un ancien super héros à la retraite, Joseph Barckley ou Mister Rain, qui occupait ce rôle. Je l’admirais beaucoup. Je crois que, en un sens, c’est grâce à lui que je n’ai jamais réellement eut peur de mes capacités. Il n’aurait normalement dû rester que quelques mois, une année tout au plus, le temps que j’arrive à me maitriser suffisamment pour ne pas griller tout l’électronique du manoir, mais ma famille s’est liée d’une profonde amitié avec lui, et les mois se sont transformés en années. En plus de m’avoir aidé avec mes pouvoirs, il m’a transmis sa vision et sa philosophie, que j’ai avec le temps intégrées pour les revoir à ma manière. »

Une nouvelle fois, la jeune femme dû prendre une pause pour inspirer profondément. Sa sensibilité rendait difficile l’évocation de tous ces souvenirs, si beau fussent-ils à ses yeux.

« Ma vie était plutôt simple, à l’époque. Je fréquentais une école remplie d’enfants de bonne famille, et, le soir, je rentrais chez moi pour suivre les enseignements de Joseph, épaulé par mon père et par ma mère. Je n’avais pas de problèmes à l’école, et je m’entendais bien avec mes camarades de classes mais… » Elle s’interrompit un instant, cherchant des mots. « … mais j’avais l’impression que, malgré tout ça, j’échappais à une forme de réalité. Joseph a toujours été un exemple pour moi mais nous n’avions pas du tout grandit de la même manière, tout comme ma mère, qui était issue d’une famille plutôt modeste, n’avait pas grandi de la même manière que moi. » Aurore sentait qu’elle risquait de perdre légèrement son interlocuteur si elle ne lui fournissait pas plus d’informations, aussi, elle enchaina.

« Ma vie a toujours été plus… aseptisée, plus blanche que la leur. Et, même si j’aspirais à leurs idéaux, je savais que leur réalité, que ce qu’ils avaient vécu m’échappait. C’était quelque chose qui me pesait beaucoup, et j’ai fini par leur en parler. Ce sont eux qui m’ont convaincue, lorsque j’ai eu quinze ans, de tenter de rentrer à l’académie de super-héros de Londres. J’ai beaucoup hésité, au début. Tout simplement parce que je ne me sentais pas à la hauteur de Joseph ou de ma mère, et que beaucoup d’autres jeunes de mon âge semblaient bien plus indiqués que moi pour suivre cette fois. Mais il y avait une phrase que répétait souvent ma mère… » La jeune femme, marque un léger temps d’arrêt, son sourire s’élargissant doucement à cette évocation. « Soit le changement que tu veux voir dans le monde. C’est une phrase de Gandhi, sans doute idéaliste, mais on ne peut plus vraie. Je me suis donc fait violence et j’ai choisis de m’inscrire en première année. Comme dans votre école, il y a des tests de sélection et, malgré ma préparation, ils se sont révélés particulièrement difficiles. Pour tout vous dire… » Commença la jeune femme en se grattant l’arrière du crâne, un peu gênée. « … J’ai été parmi les dernières à être prise. Mais j’ai beaucoup travaillé depuis, pour combler mon retard. »

La jeune femme prend une nouvelle inspiration, la prochaine partie de son histoire étant sans doute la plus importante pour le recruteur.

« A la rentrée, j’avais un peu peur que mon statut un peu particulier ne me mette à l’écart du groupe mais… ça n’a pas été le cas. Bien sûr, il a fallu quelques jours pour que nous nous habituions les uns aux autres mais, au fil du temps, nous avons finis par devenir un groupe soudé. Et fréquenter d’autres élèves venus d’horizons totalement différents m’a beaucoup aidé à mieux comprendre le monde qui m’entourait. Chacun d’eux compte beaucoup à mes yeux, car, comme on dit, c’est dans les plus grandes épreuves que se forgent les plus belles amitiés. Nous nous sommes beaucoup entraidés, et avons tenté au mieux de combler les lacunes de chacun pour que personne ne se sente à l’écart, ou laissé en arrière. C’est grâce à eux que j’ai pu suffisamment progresser pour obtenir mon diplôme de première année, puis de deuxième année. J’ai encore des lacunes, mais je m’en sors beaucoup mieux maintenant. »

Aurore replaça alors l’une de ses mèches blondes derrière son oreille pointue.

« Et puis, je sais désormais un peu plus qui je suis, et je n’ai jamais eu autant envie de marcher dans les pas de ma mère. »

Elle s’interrompit alors. Oui, elle avait fait le tour de son passé, et, à ses yeux, elle avait dit ce qu’il fallait pour que l’examinateur puisse mieux comprendre son parcours.

Ce dernier nota encore quelques mots dans son carnet, avant de réajuster ses lunettes et de marquer un léger temps d’arrêt.  Puis il reprit la parole.

« Bien, passons dans ce cas à la question suivante… »

Aurore marqua un temps d’arrêt. Elle ne s’attendait pas vraiment à cette question même si cette dernière faisait sens. Beaucoup d’évènements de sa vie l’avaient profondément marquée. Que ça soit sa rencontre avec Joseph, ou ses premiers pas dans l’académie Londonienne, tout ce qu’elle avait vécu avait participé à forger ce qu’elle était aujourd’hui. Alors, s’il fallait en choisir un… La mine de la jeune femme s’attrista soudain. La réponse à la question de l’examinateur était en réalité d’une simplicité enfantine, mais elle refusait de l’admettre. Elle refusait d’admettre, elle qui était d’ordinaire si positive, joyeuse et lumineuse, que son plus profond souvenir, celui qui ne la quittait en réalité jamais, était sans doute le moment de sa vie où elle avait s’été sentie la plus malheureuse.

Elle se souvenait toutefois des propos de l’examinateur, qui lui demandaient de parler avec sincérité. Le changement d’attitude de la jeune femme ne devait pas lui avoir échappé, et il était trop tard pour pouvoir faire marche arrière. Tâchant de se contenir pour garder son calme au mieux, Aurore reprit la parole.

« Je… Il y a eu beaucoup d’évènements qui m’ont marquée durant ma vie, mais… si je devais en choisir un… Je dirais qu’il s’agit de la mort de celui qui m’a tout enseigné. Je… ne vais pas insister sur le sujet puisque nous n’avons que peu d’information à ce sujet. Je sais simplement qu’il s’agissait d’un ancien ennemi, un criminel qui avait été arrêté par Joseph bien des années auparavant. C’était juste avant mon passage de diplôme de première année. La raison pour laquelle j’ai choisis cet instant, c’est parce que c’était la seule et unique fois ou je me suis sentie vraiment malheureuse, ou abandonnée. La seule fois, ou, l’espace d’un instant, j’ai eu l’impression de perdre pied au milieu d’un tumulte de sentiments que je ressentais pour la première fois. De la tristesse, bien sûr, mais aussi de la colère, une rancœur amère que je ne parvenais pas à évacuer. J’en suis même venue à douter des préceptes idéalistes qui m’ont pourtant toujours tant tenu à cœur. »

Alors qu’elle parlait, les yeux de la jeune femme étaient devenus légèrement plus brillants. Pourtant, ses fines lèvres s’étirèrent en un léger sourire lorsqu’elle reprit finalement.

« Mais je ne garde pas ce souvenir en tête que pour tout le malheur qu’il m’a apporté. Je pense que… J’en suis ressortie grandie, et un peu plus forte. Grâce à mes parents, et surtout à tous mes camarades qui m’ont beaucoup aidée à traverser ce moment. J’ai mieux compris certains mots de ma mère et de Joseph, j’ai pu voir à quel point il était dur de se défaire de sa haine, ou de sa rancœur, lorsqu’on était frappé d’un grand malheur. J’ai appris qu’il ne fallait jamais permettre à rien ni personne de nous faire douter de nos convictions les plus profondes. C’est sans doute un peu cliché mais, si j’ai été capable de passer et réussir mes examens après tout ça, c’est aussi grâce à lui, à sa mémoire. Avant qu’il ne me quitte, je voulais le rendre fier de moi, de ce que je deviendrais, mais maintenant, j’ai à cœur de préserver son héritage. »

Une fois encore, Aurore attendit patiemment que son interlocuteur finisse de prendre ses notes. Il ne laissait transparaitre aucune émotion, et, même si la jeune femme savait que cette attitude était justifiée par son travail, elle ne pouvait s’empêcher d’être légèrement perturbée en son fort intérieur. Au bout de quelques nouvelles minutes de silence, l’homme reprit sur un ton neutre.

« Bien… Prochaine question… »

Cette fois-ci, la question perturba moins Aurore que la précédente. Au fur et à mesure de la discussion, la jeune femme prenait un peu plus d’aplomb, et semblait plus en confiance. Elle n’avait jamais eu honte de défendre ses idées qui paraissaient trop naïves ou idéalistes pour beaucoup, car elles étaient une grande partie de ce qui la définissait.

« Je compte rester fidèle aux principes qui m’ont toujours accompagnée. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, ma mère et mon professeur m’ont toujours dit d’être le changement que je veux voir dans le monde. Et, même si ça peut paraitre banal, je veux simplement que le monde soit en paix, et que civils comme super-héros cessent de régulièrement vivre dans la peur ou dans le deuil. Cependant… Je n’ai pas envie d’obtenir un monde tel que celui que j’idéalise en employant la force. Je ne veux pas que mon alter devienne un instrument de guerre pour permettre d’atteindre une paix hypothétique. »

Aurore s’arrêta quelque seconde. Sa volonté de ne blesser personne avec ses capacités lui valaient de figurer parmi les dernières de sa classe dans l’art de neutraliser les criminels, mais elle refusait obstinément de changer de point de vue.

« Je… Je comprends que les criminels doivent parfois être stoppés, mais je ne pense pas que la violence soit toujours la solution. Je préfère me servir de mon alter pour protéger et secourir les autres, c’est pour cette raison que j’ai inscris « Section accident » dans mon dossier. Pour ce qui est du reste, je continuerais de me battre pour mes idéaux, mais sans violence, pour rendre fière ma mère et Joseph, où qu’il puisse bien être. Et pour ça, je suis prête à donner tout ce que j’ai dans mes études pour être une super-héroïne digne de ce nom. »

Les objectifs d’Aurore étaient simples, idéalistes certes mais au moins concrets. Elle avait régulièrement fait l’objet de gentils quolibets de la part de ses camarades de classe, mais elle n’avait jamais cédé pour autant. Ces derniers avaient donc fini par s’habituer aux rêves de l’apprentie, sans davantage l’embêter à ce sujet.

La question était nettement plus importante que les précédentes, et Aurore le savait. Les mutations qu’avait subie l’humanité avaient amené bon nombres de guerres et de conflits destructeurs. Si beaucoup voyaient en ces « pouvoirs » le signe d’une évolution, l’humanité ne semblait pas avoir réellement progressé depuis leur apparition.

« Mon alter fait partie intégrante de ce que je suis, et je travaille tous les jours pour en avoir la meilleure maitrise possible. C’est un peu comme si vous me demandiez ce que signifiaient mon cœur, mes poumons, mes bras, ou mes jambes pour moi. Il est ce que je suis, tout simplement. Mais, pour être tout à fait honnête, je ne sais pas, dans le cas où je n’aurais pas eu d’alter, si ça aurait changé quoi que ce soit à mes objectifs. »

Aurore marqua une légère pause, réfléchissant à la suite. Son point de vue sur les alters avait certes grandement été façonné par sa mère et son ancien professeur, elle n’en demeurerait pas moins combattive pour le défendre.

« En ce qui concerne les autres alters et bien… Je dirais que dans la mesure où ils font partie intégrante de l’humanité, nous n’avons d’autres choix que de les accepter et de trouver un moyen de les gérer au niveau de la société. Cependant… Les alters sont pour beaucoup la marque d’une nouvelle évolution au sein de l’humanité. Mais est-ce vraiment le cas ? D’un point de vue… Biologique, sans aucun doute. Mais d’un point de vue social et sociétal, pas le moins du monde. Il n’y a pas moins de guerres, moins de conflits, et moins de personnes endeuillées dans le monde. Pourtant, le potentiel de faire mieux est là, mais nous raisonnons encore comme il y a trois cents ou quatre cents ans, ce qui prouve que nous n’avons pas suivi, d’un point de vue social, notre évolution biologique. C’est pourquoi je ne veux pas me battre pour être la plus forte, la plus rapide ou la meilleure combattante que ce monde ait portée. Ce dont a besoin ce monde désormais remplit de personnes aux capacités hors du commun, c’est d’espoir, d’envie d’aider son prochain et d’utiliser son potentiel pour rendre ce monde meilleur. »

La jeune femme prit une profonde inspiration après la première partie de son monologue, avant de reprendre.

« Je ne peux donc que comprendre, en un sens, pourquoi la politique du japon concernant les super-héros a tant évoluée ces dernières années. L’ONU a aussi mit en place un système de contrôle et de régulation des alters. Cependant… Ces pouvoirs de régulations finissent bien souvent eux aussi corrompus, ou s’avèrent tout simplement rapidement inefficace. Ils ont souvent été instaurés durant ou après des périodes de crises profondes pour opérer un changement radical, car la radicalité semble parfois la seule réponse à une situation qui se dégrade. Pourtant, je ne peux qu’être persuadée qu’il ne s’agit que d’une mesure curative, et non d’une mesure préventive. L’homme a toujours été éprit de liberté, et l’en priver n’a toujours fait qu’aggraver une situation dans le temps. Pour moi, nous en revenons toujours au même point. L’humanité n’a pas évolué depuis plusieurs siècle. »

L’apprentie s’arrêta une nouvelle fois, prenant conscience de s’être légèrement enflammée dans son discours, et d’avoir manqué de concision. Elle respira un grand coup avant de reprendre.

« Pour résumer, ma vision des alters est assez simple : Ce sont des capacités qui font désormais partie de nous. Pas des outils, pas des armes. Et il serait temps que nous nous montrions à la hauteur de ces compétences extraordinaires : C’est-à-dire que l’évolution de notre société rattrape notre évolution biologique pour des lendemains meilleurs. »

La jeune femme était fière de cet héritage de pensée, et son ton ne laissait aucun doute quant à la sincérité de ses propos. Son sourire n’avait plus quitté ses lèvres, et elle attendait désormais patiemment que son interlocuteur reprenne la parole.

« Bien. Mademoiselle Clifford, nous allons passer à la dernière question de notre entretien. »

Aurore ne put s’empêcher de se sentir légèrement soulagée. Elle devait bien avouer commencer à fatiguer, et la situation était tout de même légèrement stressante. Cette dernière question semblait plus légère que les précédentes, et elle n’avait pas à trop réfléchir pour y donner une réponse.

« Oh c’est… Plutôt simple en réalité. Ma mère est, enfin était… » Le visage d’Aurore afficha l’espace d’un instant une mine un peu plus triste, mais elle se reprit rapidement. « … Elle était une très bonne amie de Belladone Yu, l’ancienne directrice de Seigei. Elle est même venue passer quelques jours en Angleterre une fois. Alors, lorsque ma mère a appris qu’elle avait été empoisonnée, elle est directement venue au japon pour intégrer l’équipe médicale. Après tout… C’est sa spécialité, de soigner des maux incurables. Je ne sais pas trop si c’est par sécurité ou autre chose, mais, lorsqu’elle s’est rendu compte que les soins prenaient plus de temps que prévu, elle a décidé de demander mon transfert vers le japon pour que je suive ma troisième année directement là-bas. Puis… Belladone Yu est décédée, et ma mère est restée au japon à la demande de Seigei. Après tout, la drogue qui avait tué la directrice de l’agence était toujours dans la rue, et il fallait toujours lui trouver un remède. Et, pour ce qui est du reste, le choix de Yuei était… le mien. »

La jeune femme ne put s’empêcher de rougir légèrement, mais elle reprit rapidement.

« Je veux dire… Tout ces changements… cette situation… Je ne connais rien du japon si ce n’est la réputation de Yuei. Je ne vais pas dire que je rêvais depuis toute petite d’y entrer mais… A travers tout ça… J’avais besoin de ne pas complétement plonger dans l’inconnu. Et je ne connais rien de Chitsujo donc… Je sais que c’est un argument qui peut sembler bancal, et qu’intégrer Yuei est difficile, mais je dois avouer que je me sens plus rassurée à l’idée d’intégrer votre école qu’une école qui m’est totalement inconnue… »

Aurore s’arrêta là. Comme sa mère lui avait demandé, et comme l’examinateur l’avait lui-même suggéré, elle avait parlé le plus sincèrement possible. L’homme en costume finit de prendre ses notes et referma son carnet, puis il releva la tête vers la jeune femme. Pour la première fois depuis le début de leur conversation, il lui offrit un léger sourire.

« Je vous remercie, Mademoiselle Clifford. Vous aurez de nos nouvelles sous peu. Passez une bonne… » Il s’interrompit, regardant l’heure de sa montre puis réfléchissant au décalage horaire. « … Une bonne soirée. »