[AV/T] Sur les branches de l'Arbre-Monde

"Ivar ! Dépêche-toi, tu vas être en retard !"

L'adolescent sautait les marches de l'escalier quatre à quatre, ses longs cheveux blonds s'envolant au rythme de ses enjambées. Il atterrit souplement face à son père qui lui jetait un regard inquisiteur, le sourire aux lèvres. Le jeune homme passa ses mains dans ses cheveux pour les lisser avant de les attacher en une queue de cheval, il manquait de temps pour faire une tresse. Il riva son regard ambré en direction de son père avant de lui offrir un sourire craquant. Le garçon devait partir à l'aéroport de Copenhague pour rejoindre le Japon et la prestigieuse école de Yuei. Il était donc habillé légèrement, tout en noir avec des bottines de marche. Une musique incompréhensible et surtout au volume beaucoup trop élevé était perceptible depuis le casque audio qu'il portait au tour du cou. Il n'avait jamais compris cette sale habitude de son fils.

"Je suis prêt !"

Sigurd Northway le détaillait de haut en bas. Il n'avait jamais remarqué que son fils avait changé à ce point : c'était presque un homme maintenant. Une petite cicatrice ornait sa joue mais ne ternissait pas son éternel sourire charmeur. De taille moyenne, il arborait pourtant la musculature sèche des sportifs de haut niveau. Il fallait au moins cela quand on voulait devenir un super-héros ! Qu'est-ce qu'il était fier lorsqu'il avait gagné sa première compétition de handball, en  occupant le poste de gardien. Ce rôle dans une petite équipe régionale représentait bien son fils finalement. Ivar avait toujours disposé d'un grand sens de la camaraderie et de la loyauté, plaçant régulièrement les intérêts de ses amis ou de son équipe avant les siens. Il était particulièrement doué quand il s'agissait d'épauler ses camarades et ce, depuis tout petit. Mais c'était aussi une vraie tornade et ça, il le tenait de son père. Enfant, il ne tenait déjà pas en place, profitant de la moindre occasion pour se soustraire à l'autorité de ses parents et vivre ses propres aventures. Même s'il s'est légèrement assagit en grandissant, c'était un garçon curieux et turbulent faisant preuve d'excès de témérité qui s'amplifièrent un temps lorsqu'il découvrit son Alter. L'ouvrir à la musique était la seule solution qu'ils avaient trouvé pour le calmer avant que le jeune homme soit assez grand pour se faire ses propres goûts musicaux.

Bien qu'il se soit calmé en grandissant, Ivar est resté un garçon courageux et parfois téméraire. Son fils aime à repousser ses limites mentales comme physiques et dispose d'un féroce esprit de compétition. A contrario, il sait aussi se montrer très susceptible et ses propres parents en ont payé les pots cassés plusieurs fois. Toutefois, Ivar est incapable d'être méchant bien longtemps, il tient beaucoup trop à sa famille pour cela et finissait toujours par s'excuser de son "comportement d'enfant gâté". L'adolescent devenait rapidement bougon lorsqu'on l'embêtait ou qu'il perdait, une sale manie qu'il tenait sûrement de sa mère !

Mais c'était surtout un enfant d'une extrême gentillesse, toujours prêt à aider les autres. C'est ce trait de caractère particulier, en plus de cette tendance à dépasser ses limites personnelles, qui poussa son fils à choisir la branche héroïque du lycée de Copenhague. Et maintenant, il parait à Yuei, l'école de super-héros la plus prestigieuse au monde ! Ivar était leur petite fierté.

"Tu n'oublies pas d'être poli, hein ? Tu sais que les japonais sont très à cheval là-dessus, dit Sigurd en posant ses mains sur les épaules de son fils. Et surtout, tu n'oublies pas que tout les cours sont importants !"

"Je sais papa ! T'inquiète pas."

Sigurd marqua une pause, un franc sourire s'étirant sur ses lèvres en réponse à celui qui ornait déjà celles de son fils.

"Je suis fier de toi fiston. Allez va ! Tu vas être en retard à l'aéroport. Attends ! Tu oublies ta valise !"

C'était tellement son fils. Tellement pressé et aventureux qu'il en oubliait les choses les plus simples.  

Ivar se mordilla la lèvre, contemplant la feuille vierge devant lui. Le jeune homme parlait bien japonais, il en avait suivi des cours au collège et au lycée, mais cela ne l'empêchai pas d'être un peu inquiet. Sa candidature d'admission à Yuei lui demandait de remplir pas mal de paperasse, le tout dans une langue qu'il ne maîtrisait pas complètement. Mais il fallait le faire s'il voulait devenir un super-héros d'exception ! Ce n'était pas ces petites formalités qui allaient l'empêcher de réaliser son rêve. Il laissa son regard dériver un instant sur la pile de lettres qui ornaient son bureau, juste à côté de sa feuille de brouillon. Il se mit finalement à écrire.

La rédaction lui prit de longues minutes, cherchant à faire le moins d'erreur de syntaxe possible. Une fois satisfait, il s'affala sur son siège en soupirant avant de prendre sa feuille des deux mains et de la relire.

Candidature:

L'adolescent reposa la feuille sur la table, observant le plafond de sa chambre en réfléchissant. Etait-il trop formel ? Etait-ce ce qu'on attendait de lui ? Il ne saurait le dire. Mais au moins, c'était la façon la plus franche de répondre aux questions sur son passé de jeune homme complètement normal. Ses parents n'avaient pas tendance à mâcher leurs mots, surtout quand ils écrivaient à leurs amis ou aux autres membres de la famille. Ivar avait découvert la plupart de ces lettres récemment, ne sélectionnant que celles qui lui paraissaient les plus pertinentes pour les recopier et les joindre à son dossier de candidature. La plupart étaient à destination de sa tante, Sunhilda. Bon nombre de ses soirées avaient été occupées à la traduction de ces courriers.

Son regard se posa sur les trois lettres qu'il avait sélectionnées. Il se saisit de la première avant de la relire, pour vérifier sa traduction.

La naissance:

Le jeune homme posa la première lettre, la joignant au dossier, un léger sourire sur les lèvres. Découvrir ces mots l'avaient étrangement attendri, surtout qu'il prévoyait de quitter sa famille pour continuer ses études à l'autre bout du monde. Il se rendait maintenant compte d'à quel point ils tenaient à lui.

L'alter:

Le sourire d'Ivar s'aggrandit à la lecture de celle-ci. La découverte de son Alter était un des rares souvenirs d'enfance qui lui restait. Il se souvenait encore de la tête déconfîte de son père lorsque une écorce blanche avait recouvert son corps lors d'un caprice, avant qu'il ne tombe au sol épuisé. Depuis, il avait beaucoup progressé et même s'il lui restait énormément de travail pour maîtriser complètement son Alter, il savait l'utiliser de façon instinctive. Dès lors que son pouvoir s'était manifesté, son père qui présentait la même particularité, c'était occupé de l'entraîner et de lui apprendre à le contrôler, d'abord pour qu'il ne blesse personne sans le vouloir, ensuite pour que ça lui serve dans la vie de tout les jours. L'envie de faire de son fils un super-héros n'est arrivée que plus tardivement, quand l'Alter de celui-ci s'est montré être particulièrement puissant.

Mais visiblement, le garçonnet hyperactif s'était seulement montré de plus en plus pénible et compliqué à canaliser en découvrant son Alter.

La rentrée !:

L'adolescent glissa la dernière lettre dans son dossier, un sourire niais sur les lèvres. Il était fier de la confiance que ses parents lui accordait, heureux d'être leur fils et espérait de tout coeur d'entrer à Yuei pour les rendre encore plus fier. Il comptait bien devenir un grand super-héros !

Quel événement avait marqué sa vie ? Il fallu un moment pour que l'adolescent trouve la réponse à la question. D'abord, parce qu'il avait profité d'une vie d'adolescent tout à fait normale jusqu'à ce qu'il intègre son lycée en filière héroïque, ensuite parce que rien ne lui paraissait être une montagne. Si un problème se présentait à lui, il le réglait. Ajoutez à cela un manque de souvenirs évident et vous obtenez un garçon bien embêté devant sa feuille blanche.

Pourtant, un souvenir lui revint en mémoire. Celui du jour, ou il avait décidé de devenir super-héros. Du jour ou il avait arrêté d'avoir peur. Il se mit à le coucher sur le papier, prenant soin de l'écrire sur un brouillon en danois avant de le traduire en japonais.

Je me souviens encore de la première fois que j'ai croisé un "Super Vilain". Je n'avais que huit ans et je me promenais dans la rue avec mon père, je crois que nous rentriions simplement des courses. Alors qu'il me prenait la main en sortant du magasin, un homme vint braquer un pistolet sur la temps de l'une des caissières, ordonnant à tout le monde de se coucher, ce que les gens firent. Moi y compris. Bien entendu, l'homme voulait l'argent. Seulement, deux jeunes garçons n'ont pas écouté les ordres du voleur. Possédant un Alter de renforcement, ils ne craignaient pas ses balles. Le combat à commencé sans que l'on s'y attende vraiment, vu la terreur dans laquelle la plupart d'entre nous étions.

La chaleur grimpait rapidement, puis le voleur libéra son Alter en prenant littéralement feu. Il avait une impressionnante maîtrise de celui-ci et commença à tout détruire sur son passage. J'étais incapable d'agir, complètement impuissant. J'avais seulement transformé ma peau en écorce en me protégeant instinctivement : stupide contre des flammes. Je lisais la peur dans le regard des gens qui m'entouraient, les bras de mon père me protégeant des débris qui nous tombaient dessus. J'entendais des enfants de mon âge pleurer, des mères aux yeux perlés de larmes essayant de les rassurer en cachant leur propre terreur. Mais j'étais incapable de bouger, moi-même terrorisé de ce qui se passait, en me répétant que je n'avais que huit ans et un Alter qui n'était pas adapté. Mais ça me tuait de voir ces gens souffrir ainsi. Au moment ou j'ai tendu le bras pour agir, mon père me l'a fermement agrippé en me répétant que nous allions y passer si je ne restais pas tranquille.

Finalement, plusieurs héros dont j'ai complètement oublié les noms sont arrivés et on réussit à appréhender le voleur. Tout s'est bien terminé, mais une phrase me revient encore régulièrement en tête, prononcée par le vilain : "je voulais seulement guérir ma femme".

J'ai compris plusieurs choses ce jour là.

La première, c'est que certains vilains le sont devenus par la force des choses. Parce qu'ils étaient plus faibles qu'ils ne le pensaient. Mais que malgré cette faiblesse, les héros et les forces de l'ordre se devaient d'intervenir : la faim ne justifie pas les moyens. Et rien ne justifie de faire du mal à des innocents. Mais cela n'empêche pas d'essayer de comprendre les raisons d'une telle détresse pour la combattre à la source. Dans d'autres circonstances, cet homme aurait sûrement fait de son Alter quelque chose de formidable et non un outil de destruction.

La seconde, c'était la compréhension de ma propre faiblesse. J'ai détesté entendre ces gens pleurer, avoir peur, s'effondrer. Je les ai entendus s'exclamer quand les héros sont arrivés, retrouver confiance et se lever. Je me suis alors juré que je ne serais plus sans armes pour affronter les crises. Que je ne serais plus de ceux qui se couchent en priant pour qu'on vienne les sauver mais qu'au contraire, je viendrais en aide aux autres. Je me suis promis que je n'aurais plus peur.

Ses objectifs ? Ses idéaux ? Une question bien moins compliquée que les précédentes, à laquelle il avait déjà partiellement répondu. C'était plutôt simple au final.

Comme je le disais tout à l'heure, je ne veux plus avoir peur. Je ne veux plus lire la terreur dans les yeux de la population. Nombre d'entre nous vivent sans savoir s'ils seront toujours vivants le lendemain, de nombreuses crises peuvent survenir à n'importe quel moment et il faut bien que des gens soient prêt à tout donner pour leur permettre de vivre. Il n'y a rien de plus beau à mes yeux que de lire cette étincelle d'espoir dans le regard d'autrui.

Mon objectif ? Il est simple. Obtenir la force morale comme physique nécessaire à faire naître cette étincelle. Je veux faire taire la peur irrationnelle qui nous envahit dans ce genre de situations et surtout, de façon bien plus égoïste, je ne veux plus jamais qu'elle me paralyse comme elle l'a fait il y a une dizaine d'années. Je ne veux plus jamais être impuissant. Tout ce que je souhaite, c'est de protéger et d'inspirer autrui, comme d'autres héros l'ont fait pour moi. De donner le maximum pour que les gens continuent de sourire, sans se soucier de ce qui pourrait leur arriver en cas de catastrophe. Ça, c'est le travail des héros. Celui que j'aimerai accomplir.

Après cette dernière question, le jeune homme posa son stylo, parcourant le reste du dossier de son regard ambré. Il restait encore pas mal de choses à remplir, notamment d'autres interrogations sur sa vision des Alters et de son choix pour Yuei. Il ne savait pas si sa dernière réponse serait suffisante, il la trouvait bien trop décousue et personnelle même si elle avait le mérite d'être le reflet de sa pensée. Encore faudrait-il que les examinateurs arrivent à en suivre le fil. Il se mit à sourire en se grattant la tête, espérant que ça leur paraîtrait pas trop immature comme raisonnement.

Ivar tendit ses mains devant lui, expirant lentement par la bouche. Il les observa se couvrir d'une épaisse écorce blanche, striée de bandes noires ressemblant a celle d'un bouleau. C'était dingue comme cette seconde peau ne lui faisait pas perdre sa mobilité et permettait même, de le rendre plus résistant ou d'étendre ses bras ou ses jambes quasiment à l'envie. Son Alter s'était manifesté relativement tôt et le garçon avait eut beaucoup de mal à le contrôler au début, l'utilisant instinctivement lorsqu'il s'énervait ou lorsqu'il se sentait en danger. Son corps avait commencé à se couvrir d'écorces de différentes couleurs à chaque situation légèrement épineuse avant que le bambin ne tombe de fatigue l'instant d'après. Il n'avait pas encore les capacités pour utiliser son Alter ainsi et son père avait rapidement prit son éducation en main, lui expliquant qu'un Alter non maitrisé pouvait être dangereux pour soi, mais surtout pour les autres. Puis le jeune garçon devint capable de faire pousser des "branches" qu'il contrôlait depuis son corps, ses bras s'étendaient en gardant néanmoins leur forme initiale, comme si ils poussaient. A partir de là, Ivar se mit à utiliser son Alter de façon intuitive, pour le plus grand malheur de ses parents. Un objet éloigné ne lui posait plus de problèmes, il lui suffisait de faire pousser ses jambes ou ses mains pour l'atteindre. Un tout nouveau monde s'était ouvert à lui lorsqu'il avait commencé à contrôler son Alter et enfant, il voyait cela comme un don.

Ses bras reprirent leur apparence normale tandis qu'il récupérait son stylo, le portant à sa bouche en réfléchissant. En grandissant, c'était devenu un sujet complexe pour le jeune homme et maintenant, sa vision à leur sujet avait changée. Mais à quel point ?

Au début, mon Alter m'est apparu comme un jouet. Un tout nouveau monde s'ouvrait à moi et je le voyais plus comme un nouveau jouet que comme un réel pouvoir avec tout ce que cela impliquait ! Quand j'ai commencé à voir l'utilité de celui-ci et à comprendre qu'il pouvait me sauver la vie, je l'ai vu comme un don. Ce n'est qu'en grandissant que ma vision sur les Alter est devenu ce qu'elle est, surtout en étant en contact avec mes camarades du collège.

Je pense toujours que les Alter sont une sorte de bénédiction, même les plus étranges d'entre eux ou ceux qui paraissent nocifs au premier abord. Que ce n'est jamais la faute d'un Alter si son utilisateur commet un crime ou devient une personne nocive pour notre société. Seulement, la population n'est pas toujours bienveillante et certains criminels profitent allègrement de leurs Alters pour réussir leurs méfaits, mais je me répète, ce n'est pas la faute de leurs pouvoirs mais bien de la leur. C'est pour cela que je pense que les lois en place sont importantes, la plupart des jeunes gens qui comprennent comment fonctionnent leurs Alters font preuve d'un excès de confiance flagrant, comme je l'ai moi-même fait plus jeune et il est important que ce soit reglementé vu la puissance destructice de certains Alters. A l'inverse, il faut aussi apprendre aux enfants qu'un Alter n'est rien sans son hôte et que ce n'est pas parce que notre pouvoir semble plus nul ou moins puissant que le voisin que nous sommes nous même plus nul. C'est ce que nous en faisons qui est important.  

C'était certainement la question la plus simple de toutes pour le jeune homme. Ses motivations pour entrer à Yuei plutôt que Chitsujo ? La renommée, bien entendu. Mais aussi la qualité des cours, des professeurs, le fait que la plupart des grands super-héros sortaient de Yuei. Cet établissement rayonnait littéralement dans le monde entier et aucune des écoles européennes n'arrivait à la cheville de celle-ci.

Tout simplement pour la renommée de votre école et pour la qualité des cours qui y sont donnés. Nombre de grands super-héros viennent de votre école et en Europe, elle est un gage de qualité et d'élitisme. Réussir à entrer a Yuei est, pour beaucoup d'européens en tout cas, une façon de montrer son talent, sa volonté de réussite et sa motivation à devenir meilleur. En sortir diplômé ne fait qu'amplifier cette idée et cette vision. Les diplômés de votre école sont très recherchés dans les agences européennes et avec raison. L'exigence de votre école semble pousser les apprentis super-héros dans leurs retranchements pour en faire des adultes accomplis et c'est exactement ce que je cherche.

Simple mais efficace. Il n'y avait pas grand chose à en dire en même temps. Le nom de Yuei suffisait à faire naître des étoiles dans les yeux d'Ivar, qui brûlait de prouver au monde ce dont il était capable.