[AV/T] Formulaire de présentation A-318e // Benimaru Bōdowan

Benimaru Bōdowan est un homme sérieux qui n’a pas de temps pour vos bêtises. Ça se voit à son costume anthracite impeccablement repassé, sa chemise d’un blanc immaculé, sa fine cravate nouée à la perfection, ses chaussures cirées la veille, son visage rasé de frais; au regard sévère, d’une incroyable intensité, qu’il jette sur le monde par-dessus ses lunettes, à l’aura intimidante qu’il dégage quand il marche dans les couloirs, à sa sempiternelle absence de sourire. Comment voulez-vous qu’il soit souriant quand la dernière circulaire du gouvernement lui fait modifier l’alinéa 12b du paragraphe 8 de tous les formulaires E425 délivrés avant le 14 juin 298?

Toutefois, Benimaru n’est pas qu’un fonctionnaire austère dont un regard glacial pourrait vous changer en statue de sel (une des nombreuses rumeurs à son sujet qu’il laisse courir, elle l’arrange bien). Homme de principes, il a à cœur le travail bien fait et le respect des règles et de l’ordre; foncièrement bienveillant, ses remarquables qualités d’observation et d’écoute font des merveilles couplées à son esprit rapide et son calme à toute épreuve. Les personnes dont il a la charge, habituées à être réduites à des chiffres par la machine bureaucratique, seraient surprises d’apprendre l’attention individuelle qu’il porte à leur bien-être et à leur situation. Sévère, oui, mais juste.

Après tout, une fois rentré chez lui, Benimaru n’est qu’un homme normal qui mange des céréales devant la télévision et ne trouve jamais sa deuxième chaussette, un grand sportif, as de la pâtisserie, amoureux des chiens (il bénévole d’ailleurs au chenil à côté de chez lui), amoureux tout court, désespérément fleur bleue, dont les cheveux châtains et les yeux olives de sa mère mêlés aux traits fins et à la mâchoire bien dessinée de son père font des ravages dans les cœurs des demoiselles et damoiseaux. Tout cela sans jamais se départir de ce sérieux qui fait sa réputation: vous comprenez, il a des impôts à remplir, des histoires d’assurance à débrouiller, un conseil d’administration du comité de quartier, sans parler de son club de tir sportif qui lui a demandé de participer au tournoi national, et sa pauvre mère qui vient de se fouler la cheville…

Il y a des gens qui naissent promis à de grands destins, des gens dotés de dons formidables les prédestinant à des avenirs héroïques, des gens sur qui les générations futures composeront des œuvres immortelles pour célébrer leur mémoire. Le fils de Benimaru Ichinosuke et d’Isabelle Astrid Demeulemeester aurait pu être un de ceux-là.

Benimaru Bōdowan vit le jour à Tokyo le 29 avril 272, affublé du nom d’un roi belge, Baudouin, et d’un Alter au potentiel phénoménal: la possibilité de souhaiter, une fois et une fois seulement, n’importe quel pouvoir. Oui, il aurait pu demander à manipuler le temps et l’espace à sa guise, consumer le Mal dans un océan de flammes vengeresses, voler dans les airs avec l’aisance d’un oiseau ou déplacer des montagnes par la pensée.

Mais parfois, la vie aime bien mettre son petit grain de sel.

Benimaru a cinq ans et aide sa mère à cuisiner le gâteau d’anniversaire de son père. Le téléphone sonne dans la pièce d’à côté, sa mère part répondre, «tu t’occupes de verser le sucre Bōdowan?». Mais voilà, à cinq ans Benimaru, bien que très en avance pour son âge, ne sait pas encore déchiffrer les kanjis sur les emballages. Il a déjà confondu le sel et le sucre la dernière fois et a gâché le gâteau. Il panique et sans avoir conscience de ce qu’il fait, sans se dire qu’il pourrait simplement goûter, sans réaliser surtout que son Alter dormant n’attend que son ordre pour devenir autre chose, il se dit: «Si seulement je pouvais faire la différence entre le sucre et le sel…»

Souhait exaucé.

C’est à cet instant précis que sa vie bifurque, s’éloignant des horizons de gloire et de fortune pour emprunter une route bien plus commune. Une petite histoire banale et calme comme le monde en produit tant.

Le petit Shiouji-sama, comme on le surnommera une fois son Alter révélé, a toujours connu un foyer aimant. Enfant vif, éveillé, curieux de tout, il fait la joie de ses parents et amuse avec son expression si sérieuse qui jamais ne le quittera. Son père, professeur de littérature, lui inculque l’amour de la poésie et de la culture japonaise. Sa mère, traductrice et polyglotte brillante, sera son ouverture sur le monde et veillera à lui enseigner le français, l’anglais, l’allemand et cette langue du démon qu’on appelle néerlandais. Les deux s'étaient rencontrés fortuitement dans le hall d'une grande maison d'édition tokyoïte, elle venant de s'y faire engager, lui voulant faire publier et traduire un recueil de poèmes. Il lui en récita quelques uns, elle tomba sous le charme, et ils ne se quittèrent plus.

Ses études à Yuei, en filière générale, sont couronnées de succès. En parallèle, impressionné par les héros qu’il voit à la télévision et ceux en devenir qu’il fréquente sur les bancs de l’école, il suit la formation héroïque de base avec assiduité et la complète en s’inscrivant dans divers clubs sportifs, pratiquant la natation, la course, le maniement des armes à feu. C’est aussi l’âge de la découverte du monde hors du cocon familial, avec son lot de bonnes et de mauvaises surprises. Benimaru réalise que tout n’est pas aussi rose que chez papa-maman, surtout quand des pouvoirs surnaturels viennent brusquement perturber tant de millénaires d’histoire humaine. Les horreurs du passé et du présent, les injustices et inégalités forgent en lui l’une des phrases qui le guideront tout le reste de sa vie: «Plus jamais ça». Heureusement qu’il y a l’amitié dans ce monde, l’amitié et puis l’amour. Benimaru aime aimer, fréquente des Héros, souvent des Héros, surtout des Héros. Quelque chose chez eux l’obsède, leur puissance, leur aura, leur destinée magnifique, comme si au fond de lui-même il savait qu’il aurait dû y avoir droit. Lui aussi veut faire le bien sur terre, amener la paix et la prospérité, donner à tous la chance qu’il a reçue, il redouble d’efforts au club de tir, s’intéresse à la création d’objets héroïques, songe à reprendre ses études depuis le début pour suivre la filière héroïque, ou entrer dans la police, ou les pompiers, voire même se faire Justicier au mépris de la loi, agissant dans l'ombre pour défendre la veuve et l'orphelin!...

À dix-huit ans, il surprend tout le monde en abandonnant ses rêves fous de vengeur masqué pour se tourner vers une filière professionnelle préparant aux métiers de l’administration. C’est simplement que Benimaru a étudié l’histoire, il connaît le pouvoir de la politique, sa complexité aussi. Si il peut mettre son intelligence au profit de la société, des institutions, en prévision des jours sombres où de nouvelles lois restrictives feront leur apparition, alors son existence n’aura pas été vaine. Major de sa promotion avec une spécialisation juridique, il commence par travailler pour des associations militantes ou caritatives, fait un crochet par la politique, se rapproche du ministère des Affaires d’Alter pour finalement se faire engager dans un collège de son quartier, plus intéressé par les enfants, futur de la nation, que par des politiciens vénaux détachés des réalités du quotidien.

Les jours sombres, comme pressenti, viennent. L’été 301 voit Tokyo ravagée par le Trigger, cette nouvelle drogue qui décuple les pouvoirs des altérés au détriment de leur raison. Dans la foulée, les attentats du groupe S alimentent le chaos et les mouvements anti-Alters prennent de l’ampleur. Un climat d’insécurité et d’intolérance se met en place.

«Plus jamais ça.»

Début 302, Benimaru passe des nuits blanches à lire les nouveaux décrets et amendements de la réforme héroïque, inquiet à l’idée de voir ressurgir des atteintes à la liberté et à la dignité humaine dignes des années 50, celles de la Terreur… N’ont-ils donc rien appris du passé?

«Plus jamais ça!»

Il est chez lui, devant la télévision, en train de manger des céréales, quand le bulletin d’information manque de le faire s’étouffer sur une croustillante pépite de blé et de riz soufflé. Mars 302 a décidé de jouer dans la cour des grands. Benimaru, incrédule, regarde se succéder à l’écran les images de la création de Reiwa, des violences anti-Alters et surtout les nouvelles de son ancien lycée, Yuei, dont la victoire au tournoi héroïque mêlée à l’attaque de Cataclysm laisse un goût aigre-doux en bouche. Il zappe, entend parler des réformes scolaires exigées par Misukasu Mie, de la nomination d’Asao Gyō au poste de directeur chargé de mener ces grands changements. Yuei, cette école qui lui a tant apporté… Peut-être serait-il temps, à présent, de lui rendre la pareille?

– Hé. Tu dors?
– Non.
– L’air est doux, il sent bon, tu ne trouves pas? Ça sent le figuier et la terre après la pluie, le sang des pierres et la pelouse tondue, et le froid qui pleut des étoiles…
– Tu m’as réveillé pour m’infliger de la mauvaise poésie?
– Tu dormais pas de toutes façons. Au fait, il est trois heures et quart du matin. Joyeux anniversaire, Shiouji-sama!
– Tais-toi.
– Embrasse-moi si tu veux que je me taise…
– T’es vraiment le pire…
– Moi aussi je t’aime. Dis, ça va? Tu as l’air triste.
– Oui… Non… L’année scolaire se termine bientôt et je ne sais toujours pas ce que je veux faire comme études supérieures. Je ne sais pas ce que je veux faire de ma vie.
– Bōdo…
– Je t’envie, tu sais. Toi tu vas sauver les gens, combattre les vilains, rendre le monde meilleur… Si seulement j’étais comme vous, je me sens tellement inutile et impuissant…
– Arrête de raconter des bêtises!
– Hein?
– Tu ne réalises pas tout le potentiel que tu as? Malgré ton regard de meurtrier, tu es la personne la plus bienveillante que je connaisse, ton sens de l’éthique est incomparable et tu fais toujours un boulot de dingue pour atteindre la perfection.
– Mon regard de meurtrier?…
– Tu parles toujours de nous, les Héros, les Héros, comme si on était les messies qui allaient sauver l’humanité. Mais tu fais un travail tout aussi important que nous avec tes engagements associatifs, politiques, militants, tous tes comités de quartier… Moi je n’ai pas le temps de m’engager là-dedans, mais c’est à cette échelle-là que tu peux agir pour améliorer la vie de tous les jours. Tu luttes contre le crime en luttant contre ses sources, les inégalités du système, les oppressions, les discriminations qui poussent à la marginalité. On dit bien qu’il vaut mieux prévenir que guérir, non? Ce que j'essaye de te faire comprendre, c'est que tu es un héros aussi, Bōdowan. Un héros du quotidien.

Les rêves de Benimaru sont plutôt simples. Il fait déjà un travail qu’il aime, grâce auquel il a acheté un petit appartement dans un quartier tranquille où il peut écouter du Erik Satie en buvant son café et en lisant le journal sans être dérangé. Il partage son temps entre ses différentes activités, son emploi, ses quelques ami·e·s qui ont su voir ce qu'il y avait derrière son masque de bureaucrate austère, ses très (trop) nombreux ex avec qui il s'efforce de garder des relations cordiales (exercice périlleux s'il en est). Maintenant, il aimerait bien rencontrer quelqu’un de gentil à serrer dans ses bras quand ça va un peu moins bien et à présenter à ses parents. Le mariage, pourquoi pas? Et ils pourront avoir un chien…

Mais voilà, pour que ce petit futur idyllique puisse voir le jour, pour que Benimaru puisse élever des enfants et un shiba inu dans les meilleurs conditions possibles, il a du pain sur la planche. Et même si ce n'est pas avec du sel et du sucre qu'on révolutionne le monde, le petit Shiouji-sama qui rêvait de couronnes de laurier et d'explosions est devenu un adulte confiant en ses capacités à faire bouger les choses à son niveau. Et si ça rate, tant pis. Au moins, il aura essayé: c'est déjà plus que la majorité des gens.

Benimaru a un peu honte de son Alter. Très peu de gens sont au courant qu’il a un don, encore moins en connaissent la nature. C’est la principale raison pour laquelle il ne fait rien pour démentir les ragots lui prêtant des capacités aussi intimidantes que son expression. De plus, il considère que ce n’est pas plus mal de ne pas pouvoir se reposer sur des capacités surnaturelles, chose qu’il reproche à de nombreux altérés.

Concernant les Alters en général, Benimaru n’a aucun problème avec tant qu’ils servent le bien commun. Il considère que projeter des rayons laser ou avoir la peau verte n’est pas très différent d’avoir un génie mathématique ou une tâche de naissance sur la cuisse qui ressemble vaguement à la Corse: ce qui importe, c’est d’aider les enfants naissant avec ces pouvoirs à les maîtriser pour vivre une vie heureuse et épanouie dans un monde malheureusement trop imprévisible. D’où l’importance d’établissements comme Yuei, et d’agences de super-héros. Vis-à-vis des lois mises en place par le gouvernement, Benimaru est un peu moins tranché. Il comprend leur existence, leur trouve une certaine utilité, mais craint la facilité avec laquelle elle pourraient devenir restrictives et discriminantes. Enfin, il ne peut s'empêcher de trouver malsains les classements de popularité et la surexposition médiatique des Héros comme des Vilains, critiquant l'hypocrisie du gouvernement qui blâme tous les problèmes sur les détenteurs de pouvoirs tout en les mettant sous les feux des projecteurs pour en tirer profit.

L’éthique de Benimaru ne laisse aucune place au Crime dans sa vision du monde. Il vit selon des principes très forts d’altruisme, de générosité, d’entraide et de respect, et n’hésitera jamais à les défendre, localement ou internationalement. Malgré son habilité avec les armes à feu et sa bonne condition physique, il est conscient de sa faiblesse et, témoin d'un crime, ne cherchera pas à jouer les héros mais plutôt à alerter ceux qui en ont le diplôme officiel.

Chose importante, Benimaru ne voit pas le Mal comme quelque chose d’intrinsèque, mais comme le produit des oppressions et inégalités systémiques qui règnent dans la société: il essaye par conséquent de ne jamais blâmer les criminels, mais les conditions qui les ont poussé dans cette voix. En véritable Juge, il fera tout ce qui est en son pouvoir pour faire pencher la balance du côté de sa conception du Bien, avec ses manières un peu brusques certes, mais pleines de bonnes intentions. Attention ceci dit, car ce sont d’elles que l’Enfer est pavé…

De ses fantasmes de gosse à sa réalité de «bouffeur de paperasse», il y a un lien logique: aider autrui et être utile. Incapable de trouver sa place, tiraillé entre le rêve et la réalité, c'est cette fatidique discussion nocturne avec un de ses amants Héros qui lui fera réaliser qu'il n'y a pas besoin d'avoir une superforce ou un sixième sens pour faire le bien. Les suffragettes, les Black Panthers, les femmes trans de Stonewall, toutes ces figures emblématiques de l'histoire humaine ont fait changer la société sans Alters, pourquoi en serait-il autrement aujourd'hui? Benimaru, bien que d’un naturel solitaire et taciturne, est un citoyen très investit. Il voit son travail presque comme celui d'un infiltré, qui veille à ce que l'administration du Japon reste un système qui place l'humain au centre de ses préoccupations. Sur son temps libre, il fréquente plusieurs collectifs et associations et s’intéresse de très près à la politique, cherchant à soutenir de son mieux les causes dont les objectifs sont proches des siens.